Allongée dans mon canapé lit, les pieds en l’air et la tête à l’envers, je zappe sans vraiment regarder les chaînes, les regardant d’un air distrait, incapable d’arrêter ma pensée sur quoi que ce soit. Les dernières semaines ont été difficiles, je crois qu’on peut le dire. Je me souviens plus vraiment de la façon dont je suis rentrée chez moi après le petit… incident… au port. Mais j’ai vu la merde à la télé. Et autant dire que c’est pas joli, joli. Du coup, j’ose plus trop sortir. Je sais pas trop si des gens ont pu voir ma gueule d’une façon ou d’une autre mais, dans le doute, je préfère éviter de prendre des risques pour rien.

J’ai vu que ça s’enflammait aussi sur Internet. Les gens paniquent face aux monstres qu’on a aperçu ce jour-là. Qu’ils aillent bien se faire foutre tiens. Je me retiens de répondre ça sur les forums où ça discute jusqu’à pas d’heure, où les gens se prennent la tête sur ce qu’il faudra faire de nous quand on nous trouvera. Je suis partagée entre l’envie d’aller pirater tous ces gens et leur pourrir la vie jusqu’au bout, même si ce serait leur donner raison, l’envie de me m’arracher les yeux pour plus voir ce genre de connerie, mais ce serait un peu radical et dans mon cas ça repousse pas… ou laisser couler. Après tout, les gens ont toujours voulu avoir quelqu’un à haïr. Ce sera nous cette fois-ci. Tant qu’on se fait pas parquer dans des camps, ça devrait aller. Enfin, c’est pas comme si ça avait pas déjà été fait d’une certaine façon.

Je grimace à cette pensée, continuant de zapper de plus en plus vite, avant de tomber sur des images du braquage. Je me redresse, grimaçant et me focalisant sur la télé pour de bon. Lukas n’aime pas en parler alors, forcément, j’essaie de glaner des informations où je peux, même si la télé est clairement pas la meilleure source. Mais, quand il a débarqué chez moi, vu sa mine de déterré, j’ai préféré éviter de poser des questions. Il vient dormir ici de temps en temps depuis, sans vraiment aborder le sujet. Je sais que le patron est en taule et que j’y suis pour rien. Joie. En vrai, ça m’emmerde. Pas d’y être pour rien hein, qu’on soit bien d’accord, mais que ça tourne comme ça. J’aimais l’idée de bosser pour eux, même si c’était dangereux, illégal et j’en passe. Faire des trucs réels, qui ont du sens, même si c’est pas forcément celui que j’aurais imaginé au départ, ça me changeait de rester plantée derrière mon écran à jouer avec des chiffres et des valeurs qui pour moi n’étaient pas vraiment réels.

J’entends alors qu’on frappe à la porte. Je jette un dernier regard à la télé, où on voit des hélico et un paquet de monde entourer l’immeuble avant de soupirer pour trouver une culotte. Si c’était Lukas, il serait entré vu qu’il a les clés maintenant. Et vu qu’à chaque fois qu’il arrive, il est tellement énervé qu’on passe par la case partie de jambes en l’air avant de discuter de quoi que ce soit, je prends plus trop la peine de me fringuer. Mais là, ça doit être ma pizza. Et ouvrir à poil, c’est pas terrible pour rester discrète. J’enfile aussi un t-shirt beaucoup trop grand, avant de tiquer que ça doit être à lui et que je sais pas si ça doit me déranger ou pas qu’il s’étale comme ça. Enfin, peu importe au final. J’attrape un billet de 20 dollars et j’ouvre la porte.

Avant de me figer, sourcil arqué. « Z’êtes pas la pizza vous. C’est pour quoi ? » Je la reconnais direct et mon coeur s’accélère. C’est un des membres des fox. Je me rappelle plus son nom là, de suite, mais il va me revenir. Pour autant, je sais pas si elle me connaît. Alors je garde une mine neutre pour le moment, essayant même d’avoir l’air curieuse. La gueule innocente, ça marchait à une époque, ça pourrait encore non ?

Parait qu’il ne faut pas ouvrir la porte aux inconnus. Mais bon, comment je pouvais deviner moi, que c’était pas le livreur de pizza ? Ouais, je sais qu’on est dans la merde, Lukas plus que moi, mais je sais aussi que jamais les flics ne viendront le chercher ici. Notre relation est tellement improbable, si on peut appeler ça une relation, qu’il est en sécurité dans mon appart miteux. Et moi ? J’ai pas la gueule de l’emploi. Donc je m’en sors bien en général. Pour ça aussi que j’ai pas envie de partir d’ici, je me sens paradoxalement plus en sécurité que si j’habitais un immeuble de luxe avec un portier qui me jugerait à chaque fois qu’il me croise.

Enfin, ça règle pas mon problème. Parce que je suppose que la femme qui se tient devant ma porte va entrer dans la catégorie problèmes. Je me frotte le nez quand elle dit qu’on a des amis communs, essayant de pas avoir l’air trop sceptique ou trop… je sais pas quoi en vrai. Faut dire qu’en étant à moitié à poil sur le palier, ça aide pas à être crédible. « Des amis communs hein ? Je suppose que vous parlez pas de Jimmy, le type qui parle aux pigeons et qui vit dans le local poubelle. »

Et, quand elle continue, j’hésite un instant. Elle demande la permission d’entrer, ça m’étonne un peu j’avoue. Je l’aurais plus vu du style à défoncer la porte et à s’imposer en fait. Elle a la carrure pour ça un peu en plus. Pas que ce soit un déménageur hein, mais elle a l’air d’avoir carrément plus de muscles que moi. Ou un truc dans le genre. Bref, je m’égare un peu là on dirait. Je me mordille la lèvre donc, indécise. Avant de pencher la tête dans le couloir pour y voir le livreur de pizzas. « Hey toi là-bas ! Elle est pour moi cette pizza. » Je lui tends un billet en échange d’une pizza gigantesque et, alors qu’il s’éloigne, je fais un signe du menton à la jeune femme. « Amène-toi, on va pas causer dans le couloir, ça va jaser. Et j’ai froid. »

Je referme la porte derrière elle, non sans m’assurer que le couloir est bien vide et qu’aucune porte ne s’est ouverte sur des gens un peu trop curieux. L’avantage du coin c’est que chacun se mêle de son cul en priorité avant de regarder ce qui se passe à coté. Je laisse tomber la pizza sur la table avant de me diriger vers le frigo et de sortir deux bières. « Ca te va ? J’ai plus ou moins fort selon ton humeur sinon. » Et, en attendant, je m’installe dans le canapé, ouvrant le carton de pizza pour attraper une portion gigantesque dégoulinant de fromage. « Sers-toi. » J’engloutis quelques bouchées avant de froncer légèrement les sourcils. « J’arrive pas à me rappeler ton prénom. Tu m’en veux pas j’espère. Et du coup, on fait comment ? Tu m’expliques ce que tu fais là ou je dois essayer de deviner ? » Lukas a pas été vraiment loquace sur ce qui s’est passé et vu que j’ai moi-même eu du mal à me remettre mes mésaventures, j’ai pas encore trop posé des questions. Sauf qu’avec l’arrivée de cette fille, ça risque de changer un peu la donne je suppose.

Bon, on va pas se mentir, je suis pas la parfaite hôtesse. En même temps, vu le coin où je crèche et la vie que je mène, faut pas s’attendre à ce que j’accueille les invités, qui n’en sont pas, avec des petits fours à la main et un balai dans le cul. Un truc du genre quoi. Déjà, que j’ai ouvert la porte relève de l’exploit, alors qu’elle s’en accommode sinon je … ah ouais je vais rien faire en fait, vu que je serais incapable de me défendre si elle décide de me défoncer la gueule. Un jour, faudra vraiment que je pense à faire quelque chose pour ça. Ou à embaucher des gros bras. Tiens c’est pas une mauvaise idée ça.

Quand elle pointe mon t-shirt du doigt, je penche la tête sur le côté, la mine faussement innocente. « Ouais enfin, y a pas qu’un seul type qui a acheté ces fringues. J’espère pour les fabricants en tout cas, sinon ce serait bien la merde pour eux. Bref… j’ai pigé l’idée. Et oui il préfère les jolies jeunes femmes, ça m’arrange. » Mais pas qu’il en préfère de trop non plus. Pas que je sois jalouse, je m’en fous un peu. Même si j’avoue, j’apprécie de plus en plus sa compagnie mine de rien. Je finirais presque par m’habituer à l’avoir ici, quand bien même je sais pas la moitié du quart de sa vie. Truc du genre quoi. Je récupère la pizza et, quand elle me répond, je lève un sourcil avant de souffler, tout en claquant la porte. « Quoi ? T’aimes pas te balader à poil sous un t-shirt trop grand ? Les mecs trouvent ça super sexy en général. Mais si ça te choque ou ce que tu vois te dérange, je peux faire l’effort de passer un pantalon. Doit y en avoir un qui traîne pas loin. »

Perso, je suis pas pudique, donc je verrais bien selon la tête qu’elle fait. Et puis, je suis pas sûre qu’elle soit d’humeur à vouloir me chauffer. Je sors les bières et j’ai un sourire en coin à sa tête, avant de souffler, non sans un sourire en coin. « Plutôt vodka ou whisky alors ? Je sais pas trop de quel bord t’es … donc... » Je finis quand même de manger ma portion de pizza avant de déposer les deux bouteilles juste à coté d’elle. Avec les verres qui vont bien, évidemment. Je laisse filer un silence alors que je la regarde, partagée entre la méfiance et la curiosité. Bon, y a plus de méfiance que de curiosité, on va pas se mentir mais, comme dit, c’est pas comme si j’avais bien le choix. Je connais le genre de filles qui gravitent autour de Lukas et de son chef, autant dire que je fais carrément pas le poids. « Et donc, ton nom c’est… ? Pas que j’ai envie de me faire insistante, mais à un moment, je vais finir par t’appeler machine, ça va te vexer, ça va faire un drame et tu vas me flinguer. Et ce serait pas terrible. » Je hoche la tête comme pour marquer mes propos, non sans attraper un autre morceau de pizza. Pas que je sois détendue hein, qu’on soit bien d’accord. Mais qu’au moins, j’en ai un peu l’air. Et puis, à la réflexion, c’est pas comme si je vivais entourée par des gens pas super stables. Pas comme si je l’étais moi aussi en vrai, mais ça c’est un détail. « Et j’ai pas souvenir d’avoir entendu le téléphone de Lukas bipper dans tous les sens. T’es vraiment sûre de l’avoir harcelé de messages ? C’est le moment où je te demande comment tu m’as trouvée ou pas d’ailleurs ? Pas que je tienne à la discrétion mais un peu quand même mine de rien. » Surtout pour Lukas. Techniquement, je suis pas recherchée par qui que ce soit, pas officiellement en tout cas. Et vu le peu que je sors de cet appart, je m’inquiète pas des gens qui pourraient me suivre. Peut-être que je devrais en fait.

Ouais, je sais, je sais, va vraiment falloir que je songe à déménager. Vu que visiblement, c’est peu probable que je change de fréquentations. Parce qu’elle m’a trouvé quand même hyper facilement. Enfin après, je suis un peu trop liée aux Fox pour pouvoir croire, même un instant, que j’allais m’en tirer sans problèmes. J’ai quand même un large sourire à sa réplique, baissant les yeux pour regarder le t-shirt sur lequel je tire, comme pour mieux voir les inscriptions. « Oh, ça va presque me rendre nostalgique dites donc. C’est donc une pièce de collection dont je dois prendre soin ? Enfin… on parle toujours du t-shirt ou de son propriétaire ? » Un clin d’oeil avant que je ne hausse une épaule et que je reprenne, d’un ton tranquille. « Je suppose que t’as du en croiser plus que moi donc je te crois sur parole pour le coup. Et je prends ça pour un compliment donc. »

Et je la laisse rentrer, sentant son regard sur moi. Au moins, il est pas pesant. Pour un peu, je pourrais presque penser que je suis à son goût. Ce qui pourrait peut-être l’empêcher de me buter, allez savoir. Ouais parce que là, mon espérance de vie, j’ai quand même un sérieux doute à ce propos. Mais, au lieu de me prendre la tête, autant voir comment les choses se déroulent non ? A sa réplique, je penche la tête sur le côté, curieuse. « Ah oui ? Tu fais quoi comme boulot ? » Vu qu’elle a pas l’air plus dérangée que ça, autant dire que je fais pas d’effort pour me fringuer davantage. Et, au reste, je la regarde de bas en haut un moment avant de souffler, d’un ton mutin. « Vraiment ? Cool. » Bah quoi, je vais pas me la jouer offusquée parce qu’elle dit que je suis sexy non ? Surtout qu’elle est carrément bien foutue dans son genre et que là, au moins, je me sens pas trop en danger. Enfin pas plus quoi.

Je ramène à boire et je la fixe, curieuse, alors qu’elle se sert de la vodka. Je fais de même de mon côté, l’écoutant avec attention avant de grimacer. « Au moins, tu me flingueras pas pour ça donc. Me voilà grandement rassurée. Et enchantée Riley. Je suppose que tu sais déjà que je m’appelle Sasha mais on va faire genre on respecte les règles du jeu et tout. » Et je reprends, après avoir dégommé ma part de pizza. « Ah oui, c’est pas du harcèlement en effet. Pour savoir s’il a envie de te voir ou pas… faudrait savoir comment vous vous êtes quittés. T’est plutôt du genre l’ex hystérique qui va vouloir lui coller une balle entre les deux yeux ou la copine de lycée qui veut se remémorer le bon vieux temps ? » Je bois mon verre d’une traite avant de le poser sur la table et de continuer, d’un ton toujours aussi tranquille. « Lukas avait besoin d’un peu de calme ces derniers temps. Je suppose que c’est pour ça qu’il a pas recontacté les vieux copains. Mais on… discute pas trop. De ce genre de choses. Jamais bon d’évoquer le passé ou les sujets qui fâchent. Tu crois pas ? »

Et j’ai une ombre de sourire quand elle continue, attrapant une autre part de pizza alors que je croise les jambes, sans prêter attention à mon t-shirt qui remonte. « Mmmmh… j’avoue, je devrais probablement me cacher davantage. Mais on va pas se mentir. Ceux qui veulent me retrouver le feront toujours. Et les autres s’en foutent. Donc l’un dans l’autre… tu veux retrouver qui au juste ? Je pensais que votre bande de potes de lycée était toujours… en contact. Quoi qu’il arrive. Je me goure ? » Sauf si bien évidemment ils ne veulent plus entendre parler d’elle. Ce qui voudrait dire que je suis un peu dans la merde. Enfin, pour le moment, on boit, on bouffe et on discute. Tout roule.