C’était une soirée comme une autre, loin de tout, dans un des nombreux bars qui jalonnaient la ville. Je n’y étais pas un habitué, loin de là, j’essayais un maximum de ne pas toujours rester dans le même bar. Habillé d’une façon tout à fait quelconque, il m’arrivait de vouloir retrouver ce genre d’ambiance, loin des restaurants gastronomiques que ma profession me permettait et qui était la base de la façade de bon citoyen que j’étais. Mais parfois, les vieux démons revenaient, me donnant cette envie de traîner dans les bars et pubs comme je faisais lorsque j’étais en permission il y a longtemps.
Le souvenir de la guerre ne m’arracha pas un sourire, pas une larme non plus, j’en étais devenu indifférent, un brin amer peut-être. Ce soir, j’étais d’une humeur peu commode, j’avais juste envie de boire un verre à ce bar, ne faisant pas vraiment attention à ce qui m’entourait et visiblement, personne n’allait me chercher de problèmes ici, tant mieux, je ne voulais pas créer une bagarre car dans l’état où j’étais, je n’étais pas sûr d’être un parfait gentleman. Soupirant légèrement, j’entendis la voix de la serveuse, me faisant relever la tête un instant. “Un old-fashioned. Ne soyez pas avare  sur le whisky. Merci” simple, efficace, elle n’allait sûrement pas m’aimer pour la façon plutôt directe de ma commande mais ce n’était pas vraiment mon problème. En tout cas, elle fit le cocktail rapidement et en même temps qu’elle me glissa le verre, ma main posa un billet. “Gardez la monnaie.”

Au même moment, la lumière se mit à faiblir me faisant relever la tête. L’orage semblait se déchaîner au-dessus de nos têtes et c’était le genre de temps que j’adorais, allez savoir la raison profonde. En regardant le plafond qui semblait vouloir se fondre dans un noir total, mes yeux se posèrent un bref instant sur la serveuse et quelque chose s’illumina dans mon esprit.
Oh je n’oublie pas un visage, surtout à cause de ma profession parallèle, question de sécurité et cette fille je la connaissais mais pas pour avoir été un contrat de jadis ou une cliente… Non. C’est dingue ce qu’un changement d’atmosphère pouvait réaliser dans vos souvenirs. Je la voyais encore allongée sur le lit, la lumière faiblarde d’une lumière à l’agonie, son corps en sueur pendant l’acte, sa peau si douce, les marques qu’elle avait reçu d’autres hommes. Bon Dieu, si je m’attendais à revoir cette gamine ici… Elle avait grandi depuis le temps et elle semblait avoir refait sa vie. Amusant comme parfois le destin pouvait réunir les gens mais je suis sûr qu’elle n’était certainement pas aussi amusée que moi.

Mon regard toujours rivé sur elle, les plombs sautèrent et un brouhaha se leva dans la salle. Elle s’éclipsa, téléphone en main pour revenir juste après avoir remis le disjoncteur en route, efficace la gamine, c’était son élément. Mes yeux se posèrent sur sa croupe, oui, c’était indéniable, elle avait pris encore plus de formes. J’aurais dû avoir honte de moi, à l’époque, elle ne devait même pas être majeure mais c’était un détail anodin pour moi, je n’avais plus vraiment cette empathie pour l’espèce humaine et la condition de certain.
Faisant ses petites affaires, elle me posa une question alors que je buvais une gorgée de mon old-fashioned. Ainsi elle ne me reconnaissait pas… Étrange. Si moi j’aurais certainement pu oublier une pute  après tout, elles ne laissent pas vraiment de souvenirs, elle, j’étais surpris qu’elle ne se souvienne pas de moi. Non pas que j’étais un super coup au lit, je n’en savais foutre rien à vrai dire, je sais juste que mes partenaires n’étaient généralement pas déçues… Mais… Elle, non, elle devait avoir un doute, ce n’était pas possible ou alors c’était une vraie cruche.
Mais c’était amusant dans un sens, qu’est-ce que j’allais faire ? M’amuser à jouer l’innocent qui ne se souvient pas de lui avoir écarté les cuisses ? Y ‘aller direct et peut-être provoquer des problèmes. Hmm, le cocktail était bon. Cela aurait été du gaspillage de devoir s'interrompre de le boire. Reposant le verre, un sourire amusé s’afficha sur mon visage. mes muscles se détendirent, j’étais dans une posture nonchalante.

“Je ne suis pas de passage. Mais je ne suis pas non plus un pilier de bar en effet.” Reprenant le verre, je fis descendre une nouvelle gorgée. “Et toi ? Toujours ce petit “K” dans le creux de ta cuisse…” Je fis un petit sourire de coins avant de réfléchir. “Hmm la droite c’est ça ?”
Oui, c’était petit et elle allait sûrement me détester pour ça mais j’étais d’une humeur spéciale ce soir et puis m’amuser un peu allait certainement tromper ma morosité. Je fis tourner ce qui restait de ma boisson dans mon verre tout en la regardant droit dans les yeux. Maintenant je me souvenais bien de cette soirée, j’avais été tendre mine de rien, elle n’avait pas dû se plaindre de moi, par rapport à d’autres qu’elle avait dû se prendre.

Un léger soupir s’échappa le temps d’un instant de mes lèvres, attendant de voir sa réaction qui n’allait pas tarder. Maintenant, si elle allait répliquer, elle ne serait pas déçue du voyage car j’avais encore pas mal d’images en tête. Finalement, cette soirée allait devenir intéressante, il fallait juste voir jusqu’à quel point je pouvais lui faire remonter des souvenirs désagréables.

Elle avait du répondant la petite demoiselle, elle me lança à la figure que le passé était le passé, preuve que ce dernier était douloureux pour elle. C’était relativement amusant, elle cherchait à garder contenance devant le reflux de ce souvenir. Je ne dis rien, la laissant servir un autre client mais mon regard ne se décrocha pas d’elle avant quelque temps avant que je ne retourne à mon verre. À dire vrai, je n’avais pas tellement d’emprise sur elle car je ne la connaissais que d’une soirée et pour être encore plus honnête, je ne m’en souvenais pas spécialement, après tout, coucher avec une prostituée sur le moment était plaisant et le souvenir restait vivace quelques jours mais après ça, difficile de bien se souvenir de quelque chose.
Cette fille, je m’en souvenais juste à cause de ce détail et d’une étreinte satisfaisante, je me souviens encore d’une chose, c’était qu’elle avait noué ses jambes autour de ma taille, acte purement musculaire j’imagine, vu qu’elle devait être jeune, passer sous des hommes n’était clairement pas du fait d’une volonté de débauche malsaine mais plutôt par obligation envers son maque… Qui c’était déjà ? Oh oui, un connard, j’avais fait quelques contrats pour lui. Mais franchement, impossible de me souvenir de son nom et ça devait être pareil pour elle car je ne l’avais pas donné.
Elle revint vers moi, me proposant un autre verre et je ne me fis pas prier. “Un deuxième. Merci.” Elle devait haïr ce visage, ce visage d’un homme totalement à l’aise à faire face à un passé morose, de ce type qui souriait, heureux comme un chat s’amusant avec une souris.

Attendant tranquillement mon verre, je me mis à tapoter sur le comptoir, ma tête allant de droite à gauche, regardant les clients. Lentement, le bar se vidait et se faisant, j’avais plus de temps avec la barmaid et vu que j’étais au bar, elle n’avait aucune chance de pouvoir s’éclipser, d’ailleurs, elle semblait être seule… “Allons petite fille, n’a tu jamais appris qu’il ne faut jamais rester tard lorsque le loup vient se glisser dans la forêt ?” J’avais murmuré cela à moi-même, comme un souvenir mais tout en la regardant, à elle de voir ce qu’elle pouvait penser, sûrement que j’étais fou.
Me levant alors, en attendant la commande, je fis un tour jusqu’au Jukebox, me penchant sur celui-ci, je me mis en quête de trouver une musique et d’un geste, glisse une pièce avant que la voix ne sorte des haut-parleurs. C’était amusant de trouver encore ce genre de choses, un vestige d’un passé moins sombre. En retournant à ma place, un homme quitta les lieux sans vraiment demander son reste. Reposant mon postérieur sur le siège, je restais là, à ne rien dire, sortant mon téléphone et et consultant mes mails. La musique devint plus distincte et je me mis à fredonner. “Hate me, Do it and do it again, waste me… Rape me my friend.” Relevant la tête de mon portable, mes yeux se posèrent sur Kate sans que je ne cherche à cacher une étincelle de lubricité. “C’est vraiment une belle chanson tu ne trouves pas . Nirvana… Sacré groupe… Et cette voix… Elle me donne des frissons. Pas toi ?” La fin de mon intonation était devenue grave, menaçante avant que je ne rigole, laissant planer quelque chose, un silence gênant, un silence qui allait sûrement durer mais j’aimais jouer le client lambda cherchant à converser avec la barmaid.

Un regard extérieur y verrait juste une discussion classique, pas bien méchante quoique peut être lourde. Posant mon portable ma main alla cueillir quelques cacahuètes que mes dents se mirent à broyer. “Tu sais, pour en revenir à ce que tu disais tout à l’heure, je suis passé à bien des choses, comme ton corps j’imagine est passé sous plusieurs choses. Mais que veux-tu, c’était un souvenir spontané. Il ne faut pas m’en vouloir.” Un autre client partit, le regardant, je le saluais avec un large sourire avant de me tourner vers la barmaid qui apportait enfin mon verre et avec la plus grande innocence, je lui fis un sourire charmant et reconnaissant. “Merci ! Tu sais faire un bon old-fashioned.” Ne perdant pas de temps, je me fis un devoir de le boire.

J’étais une ordure, je la poussais à craquer, je voulais voir combien de temps elle tiendrait avant de m’insulter, de me menacer, oh pauvre petite chose, je n’avais pas envie de t’abandonner ce soir. Qui sait ? J’allais peut-être te tenir compagnie jusqu’à la fermeture ? L’idée m’était plaisante, à elle, j’en doute mais elle avait réussi à attiser mon esprit.

Le tonnerre fit gémir les lumières, me faisant lever les yeux au ciel, mon verre suspendu à quelques centimètres de mes lèvres et puis enfin la délectation du liquide salvateur, réchauffant mon gosier d’une flamme pure.Pouvait-on lier cette perversion à la faire craquer sur un passé honteux à l’alcool ? Hélas non, j’étais endurant pour ça et quand bien même je pouvais être saoul, je n’étais pas le genre à devenir un poivrot pervers…
C’était juste ma nature malsaine qui refaisait surface, j’avais envie de lui faire mal, qu’elle se souvienne de chacun de mes coups de reins, de mes râles lorsque je m’enfonçais au plus profond de son corps. Le tonnerre encore, bon Dieu, que j’aimais ce temps de chien, un temps lugubre. J’adorais me poser et écouter juste la nature gronder, fermer les yeux et ne plus rien penser. Enfin, ça ou m’amuser à torturer une jeune fille dans un bar, tard le soir et qui se vidait lentement de ses clients… L’heure du Loup approchait et avec lui, il pouvait y avoir bien des surprises.

Et bien au final, moi qui pensais que la soirée allait être amusante, elle devenait ennuyeuse. Elle ne semblait pas vouloir réagir. Oh, je n’allais pas lui jeter la pierre, elle voulait tout simplement se montrer forte et ne pas donner de plaisir à la voir s’énerver mais cela restait ennuyant pour moi, même la pique sur le pilier de bar sonnait de façon creuse à mes oreilles, me décidant même à ne pas la révéler. Aussi, en regardant l’heure sur mon téléphone je fis racler les pieds de ma chaise sur le sol, me redressant et cherchant mon portefeuille. Un petit regard sur Kate en train de passer la serpillère, décidément elle avait décidé de m’ignorer.  “Garde la monnaie… On va dire que je te paye avec pas mal d’années en retard la passe, ça m’embêterait au final de ne pas avoir participé à ta réussite sociale en écartant les cuisses.”

Ma voix n’était pas mauvaise, elle était juste froide, presque distante. J’en avais fini ici, elle avait de la chance, je n’allais pas la rendre chèvre, j’avais parfois la fâcheuse manie d’être un connard mais là, elle n’était aucunement digne de mon intérêt à avoir autant de réaction qu’un poisson mort. C’était dommage, il me semblait que lorsqu’elle n’était qu’une catin, elle avait tout de même plus de vivacité. Ou alors je me trompe peut-être de fille. Toujours est-il que même si le cocktail était bon, revenir pour la harceler n’allait pas devenir ma priorité.
Arrivant devant la porte, un soupir s’échappa de mes lèvres, le temps devenait de pire en pire, j’allais très certainement me retrouver tremper.
Un dernier regard pour Kate, me demandant si je pouvais peut-être en terminer avec elle. Je pouvais fort bien m’en occuper, il n’y avait plus personne dans le bar, j’avais juste à fermer la porte maintenant et m’amuser à lui rappeler des bons souvenirs, enfin, plus pour moi j’imagine. Je pouvais être un enfant capricieux et pour montrer mon mécontentement à ce qu’elle ne réagisse pas, je pourrais la tuer, il suffisait juste que je sorte mon arme. Mais c’était puéril et je n’avais pas forcément envie de ça. Quelque chose me disait que j’allais la revoir.

J’allais ouvrir la porte quand une envie un peu mesquine s’empara de moi, une dernière petit chose à dire avant de la laisser. C’était sûrement une chose vraiment dégueulasse à dire mais, ne le méritait elle pas . “Oh j’oubliais, tu savais que… Ha comment s’appelait-il déjà ? Keaton… Oui c’est ça. Il m’a montré les vidéos de toi avant de t’offrir. Tu sais, j’ai été impressionnée, je me demande si j’ai toujours cette clé USB… Je me demande même si tu n’es toujours pas l’objet de désirs de pas mal d’hommes le temps d’un soir. Il faut dire que ton patron était du genre à présenter la marchandise pour attirer le client. Enfin, c’est un détail j’imagine, cela ne doit rien te faire de savoir que tes vidéos sont toujours en circulation. Bye.”

J’ouvris la porte et le temps vint me frapper au visage, putain, c’était un temps de chien. La pluie fouettait mon visage et le tonnerre se faisait toujours plus menaçant. La météo avait annoncé une tempête qui arrivait paresseusement mais qui possédait une cellule orageuse immense et que le temps allait être merdique pendant plusieurs jours avant le climax.

Au final, je la laissais, sans connaître son prénom mais ce n’était pas vraiment ce qui m’intéressait après tout, est-ce que c’était vraiment important pour l’instant ? J’allais la revoir, j’en avais maintenant la certitude et elle n’allait certainement pas apprécier ce fait. Pauvre petite chose, malgré le manque d’amusement, il y avait toujours quelque chose à faire avec elle, il suffisait juste que je trouve la bonne approche. La cloche tinta lorsque la porte se referma sans un regard pour elle. J’allais disparaître sous une bourrasque de vent, bordel, est-ce que cela valait vraiment le coup pour emmerder quelqu’un de se prendre la flotte ainsi ?