Je n’avais pas eu le temps de gérer ce souci là en plus des autres. Tous s’accumulaient, depuis que j’avais conduit l’équipe en lieu sûr après le casse. La pègre avec qui il avait fallu passer un semblant d’accord, dans les deux sens. La fille d’un ancien frère d’armes qui m’avait retrouvé avec l’aide de ma fille. Les meurtrissures de mon équipe. Les miennes. Trois jours avaient filé. Trois jours que j’aurais dû passer à faire la fête, à embrasser mes filles, à faire l’amour à ma femme, et à aller tout déchirer au boulot. Trois jours qui auraient pu tout changer… S’il y avait encore eu quelque espoir. J’avais toujours su que toute cette histoire finirait mal. Et c’était devenu une certitude. Alors j’avais bien « fêté » mon million. J’avais bu. J’avais appelé mes contacts. Fais en sorte d’être ravitaillé. La boucherie s’annonçait, et il faudrait être prêt. Je devais encore trouver un moyen d’écarter Kat’ et son gamin, histoire qu’on n’ait pas tout fait pour rien… Et je regardais mon téléphone, après avoir raccroché avec un intendant que je connaissais bien, un homme qui avait géré l’approvisionnement de mon unité en Russie pendant les dernières semaines, un type qui m’avait aidé à écouler tous les fruits du pillage de la Fédération Russe. L’homme était un escroc, un type malhonnête, mais pas totalement dépourvu de loyauté. J’avais contribué à le rendre riche, après la guerre. Il ne l’avait pas oublié. Et la corde sensible de nouveaux gains potentiels avait achevé de le décider. En raccrochant, je retournais sur mes messages.


Et soupirais. Lily.


Je l’avais soigneusement évitée, ces derniers jours. L’impact de balle sur le haut du torse avait marqué ma chair, malgré le pare-balles, et le bleu commençait à s’effacer. Même si quelque part, la scandinave et moi partagions de bien plus terribles secrets, je me disais que moins elle savait de choses et moins cela nous mettait en danger. Candide comme elle était… D’autant que son dernier message indiquait que quelqu’un d’autre que moi était au courant, pour elle. J’avais repoussé ce problème pour en régler d’autres assez longtemps. Je ne savais pas, alors que j’étais en route, si j’étais content ou pas de la revoir. Non. Je ne l’étais pas. Elle était dangereuse, au sens littéral, comme à un niveau plus sentimental. Pas d’amour, mais ce lien qui me reliait aux autres fantômes… En encore différent. Je ne savais pas ce que c’était. Mais nous étions embarqués dans les mêmes galères depuis que je lui avais laissé la vie sauve. Maintenant, je devais assumer jusqu’au bout. Deux tentatives de meurtre et une partie de baise débridée nous avaient rendus intimes de la pire des manières. Et qui menaçait son identité, à terme, menacerait la mienne. Alors j’allais la voir. Flingue passé derrière la ceinture, sous la veste. Normalement j’évitais. Mais les circonstances étaient de plus en plus dures. Je finissais par arriver. Et toquais chez elle. Dehors, il faisait nuit, et il faisait froid.


Je savais que cette entrevue allait probablement me pousser à un nouveau meurtre ; on ne pouvait pas laisser de témoins en vie, jamais. Liv était l’exemple même de ce qu’il ne fallait pas faire. Et elle me rendait toujours plus prisonnier de ce passé, souvenir vivant de mon échec comme de ce qu’il me restait de cette humanité qui me fuyait depuis longtemps. Dans ses yeux, je me voyais homme. Mais plus que ça, je me voyais humain. J’aurais dû la buter. Mais comme je n’y arrivais pas pour le moment, je pourrais toujours buter celui qui savait pour elle.


| Liv ? C’est moi. Ouvre. |

Liv m’ouvre. Elle entrouvre, plutôt. Hésite en me voyant. Je soutiens son regard. Elle me dit presque aussitôt de rentrer, ce que je fais. Je passe entre l’huis et le mur, en me faufilant dans l’espace restreint. Liv me dévisage, et ça me met mal à l’aise. Parce que je ressens toujours du désir pour elle, malgré notre situation, malgré notre passif et nos antagonismes. C’était vraiment quelque chose de compliqué à gérer. Jamais je n’aurais pu deviner que nous en serions là, après notre première et notre seconde rencontre, des années après que nous nous soyons confrontés. Bref. Elle me regarde juste une seconde et me dit que je n’ai pas l’air en forme. Sourire sarcastique.


| J’ai eu quelques journées compliquées. |


Et c’était le cas de le dire. Deux meurtres à mon actif. Deux personnes interrogées. D’autres personnes rencontrées dans des circonstances difficiles à soutenir, à supporter. C’était comme ça. Je ne me plaignais pas, je savais que je devais faire attention à tout ce que je faisais, marchant sur la corde raide depuis bien trop longtemps. Quoiqu’il en soit, je note que la valkyrie range son arme. Elle a compris que ça me mettrait sur les nerfs… Ce n’était pas le moment de me provoquer à nouveau, sans aucun doute. Elle range ses affaires ensuite. Depuis l’entrée de son appartement, je la regarde faire. Même si je m’étais quelque peu « imprégné » de son espace, de son intimité… Je ne me rendais pas pour autant co-possesseur des lieux. Je lui laisse ses secrets ; je ne veux pas partager les miens avec elle. Pas pour le moment. Ce serait encore plus me mettre en danger, mettre en danger mes hommes. J’avais eu des remontrances à leur adresser… Mais le premier responsable de la situation n’était autre que votre serviteur. Elle me demande si je veux boire quelque chose. J’ai envie, bien sûr. Par habitude.


Et aussi, plus inquiétant, par besoin. Je me sentais las et fatigué. Et ça me ferait du bien. C’était si facile de se dire ça... Mais ces derniers temps, je buvais tout simplement trop.


| Non, merci. |


Je la regarde dans les yeux ; elle est autrement bien trop peu vêtue.


| Tu as dit que je n’étais plus le seul à savoir qui tu étais. Tu m’expliques ? |


J’avais déjà mal à la tête. Et déjà l’instinct de mort qui me tenaillait les tripes.

Ce moment d’attente, où on attend une réponse à une question compliquée… Je l’avais toujours détesté. Quoiqu’il en soit je n’avais pas beaucoup de pouvoir sur la situation, tant que je n’aurais pas à décider en personne du sort de Lily, et de la personne à qui elle avait révélé son identité. C’était ça mon truc. Pas le pouvoir brut pour me permettre de faire ce que je voulais, ça non. Mais le pouvoir bien plus primaire de vie ou de mort. De régler définitivement un problème qui me menaçait. Je la regardais donc. Vaguement compatissante à mon état. Je relevais le « avec tout ce qu’il se passe en ce moment ». Finalement, j’étais un peu responsable de tout ça. Un peu beaucoup. Deux meurtres à titre personnel. Beaucoup plus si on comptait le total de l’unité, notamment parmi les villages pulvérisés dans la phase un du plan. Je vais m’asseoir sur le fauteuil en face de là om va s’asseoir Liv. Et je remarque aussi qu’elle a pris goût au rhum que nous avions bu lors de notre dernière rencontre. Quand je lui avais appris comment se comporter en soirée, là où nous avions eu ce moment si étrange, avant de rentrer avec elle, que j’essaie de la tue, et que je couche finalement avec elle. Quelle soirée.


Même maintenant, je ne savais pas très bien si je voulais la rejoindre sur le canapé, gicler ses vêtements et la sauter, ou si je préférais rester là et envisager un nouveau meurtre.


Je préférais envisager le meurtre.


Je l’écoute alors quand elle me dit qu’elle a accepté un élève homme dans ses cours de défense. Et elle commence par se justifier, elle ne veut donc pas être taxée d’erreur. Et elle me dit qu’il a compris que quelque chose clochait chez elle. Je réfléchis. Elle est stressée, je le sens. Plus que quand j’essayais de la tuer, en fait. Plus que lorsqu’elle s’était réveillée, nue et à la merci d’un homme qui lui avait prouvé qu’il pouvait aisément être un assassin. Je me frotte l’arrête du nez, après l’avoir pincé du bout des doigts.


| Eh merde. Donc, il a des doutes. Et il te prend pour une de ces cobayes. Putain. Si tu ne lui donnes pas un os à ronger, il va pas te lâcher. |


Je soupire.


| Je veux bien un verre, finalement. |


Je le bois aussitôt qu’il est servi. Repousse le verre sur la table pour en redemander un.


| Je faisais partie des unités qui réglaient ce genre de problème pendant la guerre. On a fait ça avant et après l’opération « Götterdämmerung », où je t’ai « rencontrée ». Si l’information remonte à quelqu’un de haut placé, tu finiras à genoux dans un fourgon, un sac noir sur la tête, et on ne retrouvera jamais ton corps. |


C’était ça la solution ? Finalement, je serais peinard après ça. Sauf si elle parlait avant de crever. Eh merde. Sans parler que ça me gênait, quelque part. J’avais couché avec Liv. Et je lui avais parlé. Il y avait quelque chose qui nous liait, tous les deux.


| On peut trouver un tour de passe-passe. Soit tu fausses les conditions du test sanguin. Soit tu lui prouves d’une autre façon que tu n’as rien d’extraordinaire. Soit tu te rapproches assez de lui pour qu’il préfère te protéger que te dénoncer. Tu choisis entre ces trois possibilités. Sinon, je règle la question, et je m’en occupe discrètement. |


Rien ne pouvait semer le doute dans mon regard.

Les problèmes s’accumulaient. Toujours plus nombreux, toujours plus compliqués. Certains sur lesquels j’avais quelque prise. D’autres contre lesquels je ne pouvais absolument rien faire. C’était comme ça. Difficile à justifier. Difficile à expliquer. Le sentiment d’étouffer, le plus souvent. Comme ces derniers jours. Pris à la gorge par des problèmes, le sentiment de me débattre contre des liens qui me serraient toujours de plus en plus fort. C’était comme ça. Mais je savais que je pouvais en régler certains d’une rafale d’arme automatique, alors je n’hésiterais pas une seule seconde concernant ceux-ci. Liv était un problème en soi. Parce qu’elle pouvait témoigner de secrets qui n’étaient pas sensés exister. Parce qu’elle pouvait me mettre en danger, moi et tous mes camarades. Ce n’était pas quelque chose que je pouvais vraiment assumer. Je savais que le plus simple serait sans doute de la poignarder à mort, et de faire passer tout ça pour un cambriolage ou une agression sexuelle qui aurait mal tourné. J’y avais déjà pensé. Mais si une autopsie était réalisée, les autorités risquaient de se rendre compte que quelque chose clochait avec le cadavre, avec sa nature. Le meurtre n’était donc qu’un dernier recours, que je pouvais sans doute saisir que si je pouvais faire disparaître son cadavre de façon sûre et certaine. Ce qui était quand même loin d’être assuré. Je pose un regard calme et néanmoins sérieux sur la jeune valkyrie.


| T’as pas le droit de vivre parce que t’es la preuve vivante que le gouvernement cache des choses au peuple. Et c’est que la partie immergée de l’iceberg. Tu seras toujours en danger. |


C’était une constatation terrible, mais qu’il serait bien plus dangereux d’ignorer que d’assumer pleinement. Savoir qu’on était déjà probablement condamné, qu’un jour ou l’autre la mort viendra défoncer votre porte à coups de bottes avant de vous rafaler la gueule, c’était libérateur. Je savais depuis des années que j’avais déjà trop vécu sur la corde raide, et que je devais faire ce que je pouvais pour survivre le temps que l’accalmie durerait… Alors je profitais à plein. Je jouais ma chance comme si chaque occasion était la dernière. La jeune guerrière me dit qu’elle ne veut pas que je la défende comme je pense devoir le faire. Elle ne comprend sans doute pas que je protège plus mes propres fesses et celles de mes camarades, frères et sœurs d’armes, que les siennes. Et elle me dit alors qu’elle pourrait jouer les héroïnes. Je hausse un sourcil. Avec elle, c’était cartes sur table. Elle me connaissait trop, de toute façon, sur certains aspects.


| Alors il faudra sans doute que tu commences par m’arrêter moi. J’ai tué deux mecs hier. Et j’ai aidé à en tuer d’autres. J’ai braqué un casino. Je suis pas dans les gentils, Liv. Il est temps que tu comprennes que je suis un fils de pute qui fera tout pour s’en sortir, toujours. |


Et je vide mon verre, grogne le réconfort de l’alcool fort, et le repose sur la table.

Un souci après l’autre, recenser les besoins et prioriser les urgences. C’était comme ça que l’on devait fonctionner. Comme ça que je pouvais ensuite espérer prioriser les soucis. Ma méthode de commandement n’avait pas changé au fil du temps. Ma façon de vivre non plus. Je faisais comme ça depuis toujours, ou en tout cas, depuis aussi loin que je m’en souvienne. Je me rappelais bien de ma jeunesse agitée et des soucis que j’avais pu avoir, mais j’avais fini par raffermir un peu ma résolution, de me fixer à moi-même des principes de vie que je ne voulais ni éviter ni museler ni amoindrir. C’était ce qui structurait ma vie, mes relations avec les autres et ma position dans la société. Devenir officier m’avait poussé à respecter toujours plus fortement ces principes, me le figeant en un code sinon moral, au moins éthique, qui m’était propre et qui se retrouvait rigidifié par mon caractère des plus irréductibles et obstinés. J’écoutais donc Lily. Prêt à prendre en compte ce nouveau problème et de le gérer à son tour, sans le moindre affect et sans la plus petite retenue, déterminée que j’étais à ne rien laisser passer.


Je me masse l’arrête du nez du bout des doigts lorsqu’elle évoque le fait que la vérité sur nos opérations semblait avoir été à deux doigts d’être dévoilée au grand public. Elle avait raison. Les gros titres parlaient surtout de la mort de Musquet, de l’attentat à Coal District et de notre casse, mais pas des détails. Qu’est ce que Musquet avait voulu montrer ? Je devais partir du principe que certains nous avaient doublé, et qu’un jour ou l’autre, la vérité serait dévoilée et le scandale éclaterait.


| Il arrivera ce qui arrive toujours quand un scandale éclate. Les pourris voudront éliminer toutes les preuves avant de se faire éclabousser par la tempête de merde. Ils nous feront tous disparaître, nous, les derniers Fantômes, dans des « accidents ». AVC, infarctus, accident de la route, suicide... Tous les moyens seront bons pour maquiller notre fin. Et les gens comme toi, ils vont mettront de faux trucs sur le dos et vous feront disparaître aussi. |


Comment pouvais je encore vivre ici en sachant cela ? Bonne question. Avais-je vraiment le choix ? Je ne pensais pas. Qu’est ce que je pouvais faire d’autre de toute façon ? Les problèmes me tombaient dessus, d’accord, et je savais potentiellement qu’on se ferait pulvériser à la première occasion tant on était entourés d’ennemis. Liv comprenait la situation, et ce que je venais de lui sous entendre. Elle avait parfaitement conscience de la situation, de ce que j’avais fait, et de ce que je ferais encore. Maintenant que je savais qu’elle faisait ami ami avec des flics, je restais prudent dans ma manière de lui répondre.


| Il est en cours de soins, en tout cas. On verra le temps que ça durera. De toute manière, je les aiderais toujours à s’en tirer. Peu importe ce que ça impliquera concrètement à l’avenir. |


Je soupire, et repose mon verre.


| Alors tu vas devenir une putain d’héroïne ? |

Bon. Nouveau problème. Le flic n’en serait pas forcément un. Mais d’un autre côté, la jeune femme me dit qu’elle va le calmer en partant dans une espèce de croisade délirante et absurde contre le crime qui gangrène déjà une ville bien plus pourrie qu’on ne pourrait jamais s’en relever. C’était une certitude pour moi. Il y avait des choses qui ne changeaient jamais. En premier lieu la nature de l’homme. Il était mauvais, point. Il était un prédateur pour les autres, et surtout pour lui-même. Comme les fourmis. Les communautés se battraient toujours jusqu’à la mort, et par communautés j’entendais le terme au sens large. Religions, ethnies, occupants d’une zone géographique bien définie, etc. Je regardais le monde d’un regard noir, convaincu qu’il n’était ni à perdre ni à sauver, que nous continuerons de faire ce que nous étions programmés à faire jusqu’à la fin de notre espèce ou jusqu’à la fin de toute chose. C’était l’ordre naturel, pas de quoi en faire tout un plat. Se battre contre soi-même, ça revenait à nier la réalité. Mais la Valkyrie n’était pas humaine, pas au sens premier du terme. Je le savais bien. Et elle revenait vraiment d’une autre planète en pensant que nos gouvernants auraient le moindre scrupule à se débarrasser de nous.


| Bien sûr qu’ils le pourraient. C’est comme ça. |


Et je savais d’avance que je me battrais contre ça dans un sursaut d’instinct de survie, dans une course effrénée contre la mort, parce que j’étais aussi comme ça, et que je ne pourrais pas lutter contre ma propre nature. Je savais que je pouvais repousser l’inévitable. Peut être l’éviter en dissipant l’attention sur moi t sur mes camarades, mais je doutais que la ruse seule nous permette de tenir bon. Je reporte mon regard sur Liv quand elle dit qu’elle pourrait nous aider, si j’étais prêt à surmonter mon point de vue sur elle.


| Non, tu ne pourrais pas. Pour moi, tu es… Je ne sais pas. C’était clair, avant. Maintenant, t’es surtout la conséquence d’une opération qui a mal tourné à tout point de vue. Mais mes camarades… T’as tué beaucoup d’entre nous. Les rencontrer pourrait te faire tuer. Peut être moi avec. Alors, trinquons une dernière fois à ta nouvelle vocation. |


j’entrechoquais la fin de mon verre contre le sien. L’engloutissais d’une longue gorgée. Et me levais.


| Bon, et bien si finalement tu élimines le problème de cette façon… Nous finirons par nous retrouver l’un en face de l’autre, non ? Le destin se chargera peut être de réparer ce qui a cloché ce jour-là, en Russie. |


Signe de tête, et je me détourne. J’étais venu pour un problème, mais Liv le réglerait. Je ne pensais pas, après avoir pris la température, qu’elle nous trahirait. Qu’elle me trahirait. Il y avait toujours ce truc absurde entre nous. Ce mélange d’attirance, et de devoir non accompli. C’était n’importe quoi, et trop compliqué pour nous, vues nos situations respectives.

Je m’apprêtais à prendre congé. Déjà parce que j’avais vite compris que je ne pouvais pas l’aider en ce qui concernait ce problème, ensuite parce que je savais qu’à rester trop longtemps ici, j’allais encore faire une connerie. La tuer ? Je n’en savais rien. Je ne pensais pas en être capable. J’avais tué des tas de gens tout au long de ma carrière, certes, mais elle, il y avait ce quelque chose. Ce n’était pas du sentiment en soi, mais je ne pouvais pas nier que je ressentais quelque chose de foncièrement instinctif à son endroit. La voie aussi peu vêtue, c’était forcément tentant par ailleurs. Mais il y avait autre chose chez elle, quelque chose de foncièrement sain, innocent… Alors que je savais dans le même temps que cette malade mentale avait découpé des gens à coups d’épée dans la gueule. C’était n’importe quoi. Et moi j’étais là comme un gland à lorgner sur sa culotte. Je n’étais pas comme ça. Oh, faible vis-à-vis des filles, oui, bien sûr. On m’avait dit après mon retrait de la ligne de front que ça faisait partie des symptômes d’un bon stress post-traumatique des familles, le genre de tentative désespérée pour se sentir vivant, rassuré, aimé, bla bla bla.


Je n’étais pas dupe. La vie c’est de la merde. Et fourrer sa queue dans la première bombasse venue ne fait de moi ni un héros ni un salaud, ça me permet pas de couper à la cuillère de merde au petit déjeuner. Je levais les yeux au ciel au commentaire de la Valkyrie.


| Oh hé ça va hein, toi quand je t’ai rencontrée, tu te baladais parée de plaques d’armure avec un casque d’astérix et du sang plein la gueule, t’es pas beaucoup plus saine d’esprit que les gens dehors. |


C’était direct et violent, mais on ne pouvait quand même pas –j’osais l’espérer- me donner des contre-arguments qui puissent être recevables. Elle ne valait pas mieux que nous. Parfois, je me disais qu’on avait bien fait. Pour des raisons purement égoïstes, mais aussi, pour des raisons plus philosophiques. Pour couper court à tout débat sur la place de l’homme sur cette terre, nos gouvernants avaient en tout cas posé leurs couilles sur la table en vitrifiant toute une montagne avec un petit bijou probablement fabriqué dans les années soixante pour atomiser Moscou. Je souris. Cette nana c’était quand même quelque chose putain, y’en avait pas deux comme elle.


| Ben ça commence mal ta mission de héros hein, si tu commences à souhaiter bonne réussite à un type comme moi. |


Je me fige en la regardant alors qu’elle me dit simplement que réparer ce qu’il s’est passé ne dépend que de moi. Je hoche la tête.


| Amen. |


Et autant pour le destin, dont je n’avais pas grand-chose à foutre, le mien s’étant écrit depuis longtemps dans des torrents de sang. Je ne sais pas comment prendre congé, mais j’hésite sans me décider. Je ne l’embrasse pas, pas même sur la joue, mais son regard, putain. J’étouffe un grognement avant de me barrer pour de bon ; j’avais autre chose à faire à penser que ces deux putains de puits dans lesquels me noyer.


| On reste en contact ! lâchais-je avant de m’en aller.