Je me masse les tempes, fatigué, alors que je relis mes notes pour la millième fois de la journée, tout en faisant sagement la queue au café. Y a un monde fou, quelle que soit l’heure de la journée. A croire que les gens ont toujours besoin de caféine. Ou alors ils se liguent pour y aller en même temps que moi, j’ai pas encore décidé quelle option était la plus crédible. Je griffonne quelques trucs, sourcils froncés, alors que mon téléphone bippe. Un message de Lena. J’ai une ombre de sourire alors qu’elle demande si elle peut commander de la pizza et je lui demande de me garder une part au frais avant de finir par arriver au comptoir.

Il me faut pas longtemps pour filer en direction du journal, trépignant presque d’impatience. On bosse sur le braquage avec Chloé. Autant dire que c’est du pain béni ce truc, avec tout ce qui peut en découler et toute les merdes qu’on peut arriver à soulever. Je grimpe rapidement les étages, délaissant un ascenseur qui s’est un peu trop fait attendre et pousse la porte de la salle de travail de Chloé avec le pied. Je la fixe quelques instants, sourcil levé. Dans le genre chieuse, cette fille se place dans le haut du panier. Ca fait des étincelles entre nous depuis le début mais je peux pas lui enlever un truc, c’est une des filles les plus pro que je connaisse. Et elle est jolie, sauf qu’elle en joue pas. Autant dire que ça, j’apprécie. Je dépose le café devant son nez et je souffle, avec un sourire en coin. « Comme tu l’aimes Miss Monde. J’ai même un stock de caramels horriblement chers pour toi si tu me racontes ce qu’on a. » Je m’assois à côté d’elle, agitant le paquet que je viens de sortir de ma poche comme par magie, alors que je la fixe avec curiosité, non sans jeter un œil aux vidéos qu’elle a mis sur pause. « Et tu sais que les diners galants, c’est pas mon truc. Je vais pas payer à manger à une fille quand même. » Un clin d’œil, même si le sujet est toujours un peu sensible pour moi, on va pas se mentir. Mais on a carrément plus intéressant à se mettre sous la dent-là.

Et je me penche en avant, déposant mon propre café, comme pour essayer de mieux voir les images. « Sa tête me dit quelque chose. » Je plisse les yeux, concentré, alors que je tapote du bout des doigts sur la table, fouillant dans ma mémoire. Et paf, ça me revient. « Putain de merde. C’est lui le braqueur ? Et sa bande de tarés ? » Mon regard se reporte vers Chloé, alors que j’attends des éclaircissements, histoire de me dire que j’ai bien compris ce que j’ai vu.

L’avantage avec Chloé c’est qu’elle va droit au but, qu’elle ne passe pas des heures à arrondir les angles et que, quand elle a une idée en tête, elle en démord pas. Alors, je suppose que si elle est tout le temps comme ça, même dans sa vie privée, ça doit être un brin plus complexe à gérer. Mais vu qu’on ne se fréquente qu’au niveau pro, ce côté tête de mule me convient parfaitement. J’ai une ombre de sourire à sa réplique, buvant quelques gorgées de café avant de souffler, d’un ton amusé. « Ca veut dire que j’ai un ticket ? »

Je n’attends même pas une réponse alors que je me focalise sur les images, retenant de recracher mon café avec difficulté quand je reconnais le mec qu’elle pointe du doigt. Le braqueur donc. Je me masse les tempes, essayant de remettre de l’ordre dans mes idées alors qu’elle continue de parler, me balançant à peu près un milliard d’informations que j’assimile tant bien que mal. Mais je finis quand même par lever une main vers elle. « Oh, doucement les infos Miss Monde. Ca t’arrive de reprendre ta respiration ? Je sais qui est ce type. Je le connais. Je l’ai rencontré. » Je me frotte la nuque avant de soupirer longuement. « Son passif militaire-là, je peux te le confirmer. Je l’ai vu en action avec sa bande de potes et je suis à peu près sûr qu’il y avait une femme avec eux. Peut-être même plusieurs, j’ai du mal à me remettre les idées en place, là de suite. »

Je ferme les yeux, me pinçant l’arête du nez alors que j’essaie de me rappeler de ce qui s’est passé. « Je l’ai rencontré en Russie, pendant la guerre. C’était des putains de tarés sociopathes Chloé. Et je te parie que son gang, c’est les mecs qui étaient avec eux. J’ai jamais eu aucune preuve, ils ont tout cramé et m’ont menacé de me buter si je la fermais pas. Et vu leur gueule, je savais que c’était pas pour déconner. » Je me penche vers les images, comme si ça pouvait me permettre d’en voir plus, même si, avec le gros plan sur Raulne, c’est pas vraiment utile. « On a une idée de combien ils étaient ? Et cette histoire de mafia, t’as su ça comment ? Ca fait quand même un paquet de monde mêlé à tout ce merdier, tu te rends compte de ça ? » Parce que là, ça dépasse de loin tout ce qu’on avait pu voir jusque-là et je me demande à quel point ça peut faire tomber un paquet de monde.

D’un coup, je m’arrête et je plisse des yeux, tiquant sur ce qui peut sembler être un point de détail mais qui me laisse un peu incrédule. « Il a été marié ? Tu déconnes ? » Je suis quand même étonné qu’elle ne veuille pas pourrir la vie de sa femme ou de ses gosses. La recherche de la vérité ne connaît pas de limites en temps normal et là, vu la bombe qu’on tient là, je serais pas du genre à m’arrêter là-dessus.

Difficile de pas me marrer, même si la situation n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de super drôle. J’ai tout de même un regard dans direction et je souffle, d’un ton amusé. « Tu me vends du rêve, tu le sais ça ? » Et si je suis prêt à écouter le topo qu’elle me fait sur son nouveau gros coup, je l’étais pas pour le reste. Je fronce les sourcils, reconnaissant le militaire avant de balancer, comme un con, que je le connais. Parce que j’aurais dû tiquer qu’avec elle, pas moyen de calmer le jeu. Elle veut tout savoir, comme d’habitude et, si en temps normal ça me pose pas de soucis, là, vu le passif, j’aime carrément moins la façon dont tournent les choses. Je soupire, me pinçant l’arête du nez alors que j’espère sans grande conviction qu’elle va se calmer, avant de lever une main dans sa direction. « Non. Enfin, je peux te dire des trucs, mais j’ai pas envie de tout détailler. » Parce que des fois, j’entends encore les bruits de ces putains d’obus et du reste. Que j’ai réussi à enfouir tout ça dans un coin de ma tête et que j’ai pas spécialement envie de tout déterrer, scoop ou pas.

Comme quoi, peut-être que je vais finir par comprendre un jour les types qui veulent pas qu’on touche à la vérité. Elle fait parfois un peu trop mal pour qu’on puisse se dire que c’était une bonne chose. Mais, vu qu’elle se contentera pas d’un non, ce serait mal la connaître, je reprends, avec plus de précautions. « Il fait … faisait partie d’une unité… particulière. Chargée de faire le ménage, sans laisser de traces. Ils étaient très bons dans ce qu’ils faisaient. Enfin j’ai du bol, je suis toujours en vie pour en parler, c’est déjà pas mal. Ou pour ne pas en parler justement. » Mon regard se perd un instant dans le vide, avant de continuer. « Y avait des nanas dans son équipe ouais. Et pas les plus commodes je te garantis. »

Je plisse des yeux un instant avant de reprendre, d’un ton tranquille. « Comment tu connais leurs noms toi ? » Je la vois pas trop au milieu de la Sibérie avec eux, je saurais pas dire pourquoi. Alors, forcément, si ça peut éviter qu’elle se focalise trop sur moi, ça me va. Voilà qu’elle explique combien ils devaient être, plus ou moins, et je laisse échapper un sifflement admiratif. « Putain, ça fait tellement de monde de mouillé là-dedans que ça me ferait presque flipper. Jamais trop approché la mafia perso, je tiens encore à la vie. » Vite fait quoi. « Et ils ont pu te reconnaître ? Ils savent qui t’es Chloé ? » Ouais, je suis un peu inquiet pour elle. Je l’aime bien Miss Monde et elle bosse bien en plus.

Je lève alors un index vers elle quand elle réagit à mon évocation de sa famille. « Toi oui. Mais c’est peut-être pas le cas tout de monde. On s’en fout, ça d’accord, mais ce serait peut-être intéressant de voir s’ils sont surveillance. Et si oui, de qui. » Je la suis des yeux alors qu’elle se lève et qu’elle commence à monter en pression. Et je lui lance un stylo, comme pour être sûr qu’elle parte pas dans tous les sens. « Reste avec moi Miss Monde, faut qu’on se recentre, y a trop de trucs qui partent dans tous les sens là. » Et je sais pas pourquoi, mais je trouve que ça pue et pas qu’un peu.

J’ai une ombre de sourire à sa répartie, non sans secouer la tête, partagé entre le dépit et l’amusement. « Je la plains. Faudra que je lui offre un truc pour compenser ce qu’elle subit. » Bon, en vrai, on s’en fout. On a plus urgent à se mettre sous la dent. Même si ça réveille de vieux souvenirs que j’aurais largement préféré voir rester dans l’ombre, bien rangés dans un coin sans que plus personne y touche. J’ai presque l’impression de sentir le goût de la neige, de la terre et du sang de cette époque et je fronce les sourcils, réalisant avec un temps de retard que j’ai pas percuté sur ce qu’elle vient de dire. « … des précisions. On verra. C’est pas nécessaire pour le moment. » J’ai été plus sec que je le voudrais mais y a des trucs auxquels je veux pas trop toucher.

Par contre, au reste, je plisse les yeux. « Tu les connais. Point, je me démerde avec ça ? C’est des putains de sociopathes Chloé. Si tu fais plus que les connaître, si tu… enfin… merde t’as rougi, sérieux ? Me dis pas que tu couches avec l’un d’eux… » En fait, je suis pas sûr de vouloir une réponse à ça. Je lève les yeux au ciel, me retenant de lui passer une brassée sur les prises de risque dans notre milieu. Parce que je sais que je suis pas beaucoup mieux au final, même si, pour le coup, je sais pas jusqu’à quel point elle s’est fourrée dans la merde.

Et je la fixe, un brin sceptique, quand elle continue. « Ils savent toujours Chloé. Je serais toi, je serais pas aussi sûr de moi sur ce coup. Y a rien qui te prouve qu’ils ont pas pris des photos pour savoir qui était là, qui les a vus et j’en passe. Parce qu’il y a du gros poisson là. » Du tellement gros que je me demande l’espace d’un instant si on sera capables de l’affronter. Avant de me rappeler que je m’en fous, que je veux creuser autant que possible. J’ai quand même un sourire avant de reprendre, un peu narquois. « Pas besoin de cacher ton identité. On finira attachés aux rails d’un train miss Monde, faut juste l’accepter. » Surtout vu comment les choses sont en train de tourner et les personnes qu’on se prépare à affronter à la pointe du stylo.

Stylo que je lui lance parce qu’elle part dans tous les sens. Et j’ignore royalement son grondement alors qu’elle se recentre un peu. « … t’es dans la merde. Maintenant, va falloir trouver comment t’en sortir et récupérer le maximum d’informations. Je m’occupe de la famille, c’est pas un problème. » Et je la suis des yeux avant de reprendre, levant une main vers elle et un doigt à chaque fois que je liste un truc. « Okay. On a… les mad fox, anciens militaires d’une unité … très spéciale. Combien sont issus de là-bas ? Qu’est-ce qu’ils foutent ici et pour qui ils bossent ? On a la mafia, qui a subi le dernier braquage des mad donc. Ils avaient toutes les raisons du monde de les pousser dans un piège. On a la police, véreuse. Qui bosse pour les mad ou pour la mafia ? Ou encore un autre protagoniste qu’on aurait raté ? » J’écarquille un peu les yeux avant de fixer le mur. « C’est quoi ce truc ? Et j’ai oublié quelque chose ? »

Y a pas dire. Si je me trouvais déjà un don pour me mettre dans la merde, Chloé c’est une championne du monde sur ce coup-là. Et en plus, elle les cumule. Je juge pas hein, qu’on soit bien d’accord. Je serais mal placé pour le faire. Et je sais pas de quoi je serais moi-même capable pour le scoop du siècle, surtout si ça peut faire tomber autant de monde. Mais là, elle a mis la barre super haute dans le quota de conneries. Je lève un sourcil quand elle rougit davantage, soupirant longuement alors qu’elle finit par me regarder de nouveau. Et par avouer l’évidence donc. « Pas besoin d’être journaliste. T’as vu la façon dont tu te comportes ? Je te ferais pas la leçon Chloé. Pas davantage quoi. T’es une grande fille, tu sais t’occuper de ton cul. Mais fais gaffe sérieux, ça va loin. Très loin là. Et l’affect là-dedans, c’est jamais bon. Ca fout toujours la merde. »

Et là, y en a trop probablement. Sûrement même. Mais je sais de quel bois elle est faite. Tout comme je sais qu’elle fera pas marche arrière, surtout maintenant que les pièces du puzzle commencent à s’assembler dans son petit crâne et qu’elle réalise en même temps que moi sur quelle bombe on est posés tous les deux. « Je me rends pas compte… je dois demander lequel c’est ou vaut mieux que je sache rien au final ? » Ou laquelle, pour ce que j’en sais, ça pourrait être le cas. Et elles étaient loin d’être moches à regarder, même si elles étaient aussi tarées que leur chef.

Je tousse un rire bref à sa répartie et je lâche, non sans lever les yeux au ciel. « J’ai toujours rêvé de mourir de façon classe. Là, ça me parait le plan parfait. » Et je laisse filer un silence, avant de balancer quelques informations sur les Mad’s Fox ou, tout du moins, ce qu’ils étaient juste avant ça. « Faut pas oublier que ces types sont prêts à tout Chloé. Vraiment. Je les ai vus à l’œuvre, ils abattaient leurs cibles comme on débite des bûches, sans broncher. Certains avaient l’air un peu moins atteints que d’autres mais Raulne il était vraiment flippant. Le gars qui a franchi toutes les limites du moralement acceptable. Tu vois le genre ? » Les images se bousculent dans mon esprit avant que je ne finisse par la fixer, un rien perplexe. « Ah… ouais. Un schéma quoi. Je me sens vieux d’un coup Chloé grâce à toi. Et hors du coup. C’est moche. Très moche même. » Et je tapote sur mon calepin. Vieille école, même avec toute la technologie du monde. Au moins ça, ça tombe pas en rade. Et ça explose pas en plein de petits morceaux sous tes yeux ébahis parce que t’étais au mauvais endroit, au mauvais moment.

« Donc, la police bosse pour la mafia qui avait aussi les mad sous leur coupe. Quelle merde. T’aurais des noms, chez les flics ? Pour voir auprès de qui on peut se rencarder ? A qui on pourrait faire confiance ? » Je réfléchis de mon côté, même si j’ai pas beaucoup de noms qui se bousculent. Difficile de faire confiance à qui que ce soit aujourd’hui. Ouais, ça fait vieux con aigri et parano mais quand on le voit le bordel qu’on a sous les yeux… « Nous faut un angle d’attaque, on pourra pas gérer tous les fronts en même temps sinon tout va nous retomber sur la gueule. Qui est-ce que tu veux faire tomber en premier ? Sur qui tu veux qu’on se focalise ? » Après tout, c’est son enquête de base, je suis là pour l’appuyer et la pousser dans la direction qu’elle veut. C’est comme ça que ça marche dans notre équipe.

Pour un peu, je dirais qu’elle est étonnée que je lui passe pas un savon. Mais elle a passé l’âge de se faire engueuler parce qu’elle fait des conneries dans sa vie privée. Enfin, si tant est qu’il y ait réellement un âge pour ça en fait. Bref, c’est pas le sujet. C’est surtout que je vais pas en rajouter une couche parce qu’elle a l’air assez mal à l’aise sur le sujet comme ça. « Ouais si je devais ignorer tout ce qui n’est pas bon pour moi, je serais pas journaliste miss monde. » Je lève un sourcil quand elle me dévoile le nom de type, avant de grimacer franchement. « J’ai pas trop de souvenirs de lui. J’espère que t’as pas choisi le plus taré du groupe au moins. Et… qu’il te fait pas de mal. » Je plisse des yeux, comme pour déceler des traces de coups qu’elle pourrait cacher. Ce serait pas son genre de se laisser faire non ? J’espère en tout cas.

Et je ricane quand elle reprend, secouant la tête. « Tant de perfection à deux, ça risque pas de chambouler l’équilibre du monde ou un truc du genre ? Faut qu’on fasse gaffe. L’humanité n’est pas prête pour ça. » Heureusement qu’elle est là pour détendre un peu l’ambiance. Parce que me rappeler de tout ça, autant dire que c’est pas la joie. J’ai du mal quand même et je sens ma paupière gauche qui tressaute, comme à chaque fois que je suis angoissé. Rien que de repenser à tout ça doit faire monter ma tension. Elle note tout ce que je dis et je me demande si je dois en ajouter une couche. Je souffle alors, pensif. « Ils savent manipuler un paquet d’armes. Tuer de plein de façons différentes. Mais je pige pas ce qu’ils foutent au milieu d’un braquage. Je les vois plus dégommer des gens que leur faire les poches. Enfin en caricaturant un peu quoi... » J’ai une ombre de sourire alors qu’elle dit que je suis pas si vieux. « Je suis né vieux Chloé. Toujours en décalage avec la technologie. Je déteste ça. Ce qui est con vu le monde dans lequel on vit, je veux bien le reconnaître. »

Je sursaute quand elle crie un nom, la fixant un rien dubitatif. Et je lève un sourcil quand elle parle d’un flic. « … il est clean oui. Et digne de confiance. Je le connais bien, je peux me charger de le contacter. » Même si on est plus aussi proches qu’avant. Mais on a grandi ensemble, c’est un peu le grand frère que j’ai jamais eu. Ca s’oublie pas ça non ? Même après tout ce qu’on a pu vivre chacun de notre côté. Et il m’a déjà rencardé à plusieurs reprises. Je lui renvoie l’ascenseur, évidemment, question de principes. Mais du coup ouais, j’ai jamais vu un mec aussi droit dans ses baskets. C’est assez rare pour le souligner. « Qui t’a rencardé sur lui ? Et ce Thompson donc… c’était… qui déjà ? Je suis largué tu réfléchis trop vite pour moi. T’as bouffé trop de sucre ou quoi ? »

Je tapote du bout des doigts sur la table alors qu’elle se mâchouille la lèvre, réprimant un sourire amusé. Avant de reprendre un semblant de sérieux. « Okay. Les Mad Fox d’abord. Tu veux parler d’eux sous quel angle ? Des terroristes ? Des braqueurs ? Des défenseurs de la bonne morale ? C’est quoi le but ? Les faire tomber ou faire tomber ce qu’il y a autour ? » Si ça se trouve c’est bien plus profond qu’on ne l’imagine, comme toujours dans ce genre de merdier. « La mafia c’est un vaste sujet. Tu veux parler de tout ce qui ronge la ville ou juste de ce qui est lié aux Mad Fox? » Au reste, je grimace avant de secouer la tête. « Pas les fantômes. » Parce que je tiens à la vie un peu quand même. « Pas pour le moment en tout cas. C’est un sujet qui risque de nous bouffer avant qu’on le comprenne vraiment. Et respire avant de me faire une syncope, j’ai pas envie de te ramasser par terre. » Elle me fait quand même marrer à partir dans tous les sens, même si mon instinct me souffle qu’on est sacrément dans la merde à creuser là-dedans.

Je la regarde, passablement dubitatif. « Le plus taré du groupe hein… quand on voit les autres, c’est… bordel, j’ai même pas de mots en fait. » Et je soupire longuement, hochant la tête quand elle me dit qu’il lui a jamais levé la main dessus. Je la crois. Je devrais peut-être pas, j’en sais trop rien, mais c’est pas comme si elle me laissait vraiment le choix hein. « Un SMS ? Ouais pourquoi pas. Au moins, je saurais à qui réclamer ton cadavre. » Je devrais probablement pas dire ça non plus, mais je pense qu’elle est consciente qu’elle est sacrément dans la merde.

Mais j’ai un sourire quand elle reprend. J’ai pigé qu’elle voulait pas qu’on sombre dans le drama alors je suis le mouvement. Après tout, on est adultes et on sait ce qu’on fait. Plus ou moins. Je me frotte l’arrière du crâne avant de souffler, narquois. « Rayonner notre perfection. J’aime beaucoup. J’adhère. Si on devient pas des stars mondialement connues avant de crever, ça me ferait mal quand même. »

Enfin, faut qu’on se recentre, même si avec Chloé, ça part souvent dans tous les sens sans même que je pige pourquoi. Au moins, j’ai appris à pas être largué avec elle, c’est déjà pas mal. « Un contrat ? Ca m’étonne. Ils bossent que pour leur gueule depuis toujours, je vois pas pourquoi ça changerait. Faut creuser de ce côté-là aussi. Vois avec Anders non ? L’appât du gain… possible, mais je sais pas, j’ai du mal à les imaginer comme ça. » Et je lève un sourcil au reste de ses propos. « Adorable hein. J’ai l’impression d’être un petit chiot handicapé quand tu dis ça. »

J’ai un temps avant de reprendre, quand on parle de Christopher. « Je le connais depuis que je suis môme, donc oui, on peut compter sur lui. Et… on se rencarde mutuellement de temps à autre. » Et j’ai un sifflement amusé. « Tu prends des cours de self-défense ? J’aimerais bien voir ça tiens. Enfin, passons. J’ai l’impression que le monde est sacrément petit hein. Ou alors on a un talent indéniable pour s’entourer des gens capables de nous mettre dans la merde ou de nous en sortir en un clin d’œil. » Je griffonne le nom de Thompson sur mon carnet avant de ricaner carrément. « C’est déjà pas mal. Mais tu vas pas t’arrêter de toute façon. »

Je hoche la tête quand elle reprend, gardant mon sourire alors que je l’écoute avec attention. « Okay, t’as besoin de moi sur quoi concrètement miss Monde ? Tu préfères te concentrer sur quoi en premier ? » Et je vois bien qu’elle a du mal à se canaliser mais, vu tout ce qui nous attend, il vaut mieux éviter de partir dans tous les sens dès le début.

Je lève un sourcil à sa question et je secoue la tête. « Non. La médecin légiste est trop flippante. J’irais m’occuper de piquer ton portefeuille à la place, ce sera bien fait pour toi. » De toute façon, à quoi bon dramatiser ? Ce qui devra arriver arrivera, ou quelque chose du genre. Et le savoir ne l’arrêtera de toute façon pas, je le sais bien, je la connais. Enfin, à moi de tout faire pour l’aider et qu’elle en arrive pas là donc. A cette pensée, je sens un vieux mal de crâne qui arrive mais je me contente de secouer la tête avec sourire quand elle continue. « Le monde n’est pas prêt je te dis. Et imagine, ce serait la banqueroute totale pour la presse écrite si je deviens présentateur. Déjà qu’on en est pas loin. » Et comme si je pouvais rester assez longtemps en place pour faire ce genre de trucs. D’autant que je suis plutôt du genre timide en vrai, malgré le comportement que je peux avoir avec elle. Et elle le sait bien.

J’attrape le portable, pas vraiment convaincu par cet objet du diable mais je hoche la tête malgré tout. Ca coûte rien d’essayer après tout. « Ils doivent tous faire les morts. Ceux qui s’en sont sortis. Ce serait logique non ? Je pense que tous les numéros que tu peux avoir ne serviront plus à rien. Sauf si l’un d’eux décide de rallumer son téléphone, c’est cramé pour cette source. Et... » Je lève les yeux au ciel avec un rire quand elle parle de mes poils avant de reprendre, un peu plus sérieusement. « … t’es sure qu’il y a rien de… compromettant là-dedans ? Pour toi ? »

Je hoche de nouveau la tête, pour confirmer que Christopher est en effet quelqu’un de fiable, d’honnête. Un peu trop d’ailleurs, pour lui en tout cas. « Et tu sais pas, si ça se trouve, je rêve d’être ton cobaye miss monde. » Un clin d’oeil, même si je secoue la tête en regardant le paquet. « Tant que tu me fais pas une crise de foie. » J’attends alors sagement la suite des directives et j’ai une ombre de sourire quand elle reprend. « Te cadrer, je peux. On peut se bloquer un temps à chaque fois que tu le voudras, pour qu’on voit si tu pars pas dans tous les sens. Et je me focalise sur la corruption donc. » Je ricane quand elle continue. « Ouais, c’est bon, j’oublierais jamais la gueule que t’as tirée quand je te l’ai encore corrigé. Mais tu cherches toujours à bosser avec moi. C’est que tu sais que je fais pas ça pour t’emmerder… mais parce que je sais que t’es toujours capable du meilleur. »

Je me penche vers elle et je continue, brusquement très sérieux. « Tu tiens quelque chose de lourd Chloé. Vraiment. Tu peux arriver à en faire quelque chose d’exceptionnel. Et je parle pas uniquement de faire un super scoop ou de gagner des prix. Mais je te parle de sauver cette ville. De l’empêcher de sombrer pour de bon. » Et au final, c’est pas pour ça qu’on se démène tous les jours ? Pour que la vérité puisse enfin faire tomber les méchants. Je sais, ça peut sembler un peu ridicule, naïf et j’en passe, mais, c’est ce qui m’a toujours donné envie d’être journaliste, malgré tout ce que j’ai pu vivre. Et si je n’ai plus rien du gamin qui rêvait de ce boulot, j’aimerais au moins garder ça. Cette envie que les gens sachent, parce qu’il n’y a rien de plus important que la vérité.