“La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.”
♥️ Christopher, l’enfant chéri ♥️ Comme nombre de couples dans ce monde pollué, les Hart ont eu le plus grand mal à concevoir un enfant. Fallait-il dépenser toutes leurs économies en tests et méthodes de fécondation onéreuses, ou dans l’achat d’un logement convenable ? Les classes moyennes ne pouvaient s’offrir les deux. À l’aube de leur quarantaine, la grossesse inattendue de Linda trancha ce dilemme. Un miracle aux yeux de la mère protestante, le fruit du hasard et d’efforts répétés pour James, le mari athée.
Christopher naquit dans la nouvelle maison familiale, un véritable cocon où le fils unique sera choyé, à la limite du trop gâté. Avec un père policier, difficile de tomber dans la mièvrerie la plus totale.
Grâce à ses parents avisés et dévoués, l’enfant bénéficie d’une excellente éducation auprès d’établissements peu accessibles aux classes moyennes. Sa mère, professeure de piano, lui enseigne son art et l’inscrit au catéchisme. Garçon facile et agréable, Christopher devient enfant de chœur et se satisfait de faire plaisir à sa mère — il ne ressentira jamais une foi ardente.
Tous les contes de fées ont une fin. Celui de la famille Hart s’achève avec la mort du père durant son service. Pour la police, un agent grisonnant de moins, abattu par un inconnu aux motivations inconnues lors d’un banal contrôle routier. Pour Linda et Christopher Hart, gamin de douze ans, un monde qui s’écroule.
D’abord le chagrin inconsolable, le vide impossible à combler qui soudent mère et fils de manière irrémédiable.
Puis les conséquences matérielles, le crédit immobilier qui s’ajoute aux frais scolaires devenus trop lourds à assumer. La belle maison trop grande pour deux est vendue à perte, la famille emménage dans un quartier conforme à leur modeste condition sociale.
Christopher découvre une réalité inaccessible de son cocon. Irrévérence, harcèlements, agressions, drogues, sexualité, le jeune adolescent ouvre les yeux sur un univers assez proche de l’Enfer dépeint dans les textes. Loin de tendre l’autre joue, il réagit violemment à la moindre critique et renvoie coup pour coup. Quand il rentre chez lui couvert de bleus et d’ecchymoses, ce n’est pas pour lui qu’il pleure, mais pour sa mère que son état afflige. Il ignore encore que cet épisode de sa vie lui sera très utile par la suite.
L’enfant devenu adulte suit des études pour devenir officier de police. Il désire honorer son père, adulé jusque dans ses rêves, et mériter le respect de sa mère (en ce qui la concerne, déjà acquis jusqu’à la fin des temps). Mais Christopher est aussi un jeune idéaliste, influencé malgré lui par l’image des archanges affrontant les ténèbres. Le Beretta remplace l’épée, la veste en kevlar chasse une paire d’ailes trop encombrante. Sans ambition de changer le monde, il pense que la bonne volonté et le travail suffiront à rendre celui-ci plus sûr et apaisé malgré les guerres qui se succèdent sur les autres continents.
♦️ Lieutenant Hart, le policier désabusé ♦️ Le lieutenant Hart débute sa carrière à Londres, dans un quartier relativement épargné par la criminalité patente des bas-fonds. La chance lui sourit également sur le plan affectif, les tourtereaux envisagent même de prochaines fiançailles.
La roue du destin en décide autrement, puisque Linda révèle à son fils la grave maladie dont elle est atteinte. À soixante-cinq ans, elle s’estime déjà heureuse d’avoir vécu aussi longtemps et se réjouit de retrouver son défunt mari.
Le fils dévoué rompt aussitôt avec sa dulcinée et se fait muter dans le quartier sensible où vit sa mère, ignorant ses protestations. Il s’occupera d’elle jusqu’à son dernier soupir, trois ans plus tard.
L’épreuve et l’environnement difficile affectent son exercice de sa profession : le policier retombe dans ses penchants d’adolescence et montre une brutalité excessive (qu’il regrette généralement après coup).
Après le décès de sa mère, l’homme sans attache quitte Londres pour débuter une nouvelle vie à Europolis, la capitale qui cristallise tous les espoirs dans ce monde de fous.
Christopher déchante rapidement face au banditisme galopant et la corruption rampante. Tel
Don Quichotte luttant contre les moulins à vent, il se sent incapable de protéger une population prise en otage. Pour un criminel arrêté, dix autres prennent la suite. Pour dix coupables, cinq sont relâchés pour vice de procédure ou autre argument irrecevable.
Au poste de police, le désespoir ternit progressivement les volontés comme la rouille ronge l’acier le plus dur. Chez certains, la pourriture s’est déjà propagée jusqu’au trognon.
♥️ Chris, le veuf de cœur ♥️ Les aèdes le chantaient dès l’antiquité : une rencontre peut suffire à transformer un être, à le sublimer. Plus rarement, les deux personnes s’enrichissent l’une et l’autre, faisant mentir la froide arithmétique où la somme de deux unités est toujours égale à deux.
Christopher Hart et Lauren Anders entrent manifestement dans cette catégorie. D’une simple affinité de caractères, leur relation passe par l’attirance charnelle, l’amitié, la relation fusionnelle, puis cet état que les mots ne parviennent plus à décrire. Pour les regards extérieurs, ces deux-là forment un couple solide où chacun déteint sur l’autre de la meilleure manière qui soit.
Nouveau conte de fées (cette fois dans le décor sombre et vicié d’Europolis, ponctué de séjours à l’hôpital auxquels les flics honnêtes sont abonnés), nouvelle fin tragique. Lauren est assassinée sur les quais, présente au rendez-vous d’un informateur qu’on retrouve tué par un professionnel. Son corps sans doute jeté à la mer n’est jamais retrouvé, mais le sang retrouvé en abondance dans son véhicule criblé de balles confirme l’identité de la victime. L’enquête honteusement banale ne donne rien ; l’espérance de vie des policiers d’Europolis se compare aux zones de guerre, et on sait rarement de qui provient le coup fatal. La pègre, un ennemi monstrueux aux ramifications incommensurables. (Plus tard, le nom de Lauren Anders apparaîtra également sur une liste d’accointances avec le milieu, sonnant comme une deuxième mort aux yeux de son amant.)
Chris brûle sous un désir de vengeance qui manque de le consumer. Jamais dans ses pires moments il n’était tombé aussi bas, brisant des os et trouant des peaux sur des soupçons trop minces pour justifier pareils excès. La police se montre solidaire et compréhensive quand une des leurs succombe, mais il s’en faut de peu pour qu’on réclame l’insigne du lieutenant. Bientôt, Chris ajoutera ces actes sordides à une longue liste de regrets. D’une certaine manière, il s’est conduit comme les crapules qu’il pourchasse, restant impuni grâce à un traitement de faveur, une partialité qui gangrène Europolis jusque dans ses fondations.
L’émergence d’un véritable héros, Vampyr, lui rappelle ses vœux et rallume la flamme de la justice, moins dévastatrice que celle des représailles. Il renonce à sa vendetta infructueuse et accepte le deuil. Grain de poussière dans une cité aux millions d’habitants, à son échelle le changement de vie est radical.
♣️ Monk, le bienfaiteur esthète ♣️ Les forces de l’ordre ont toujours raffolé des surnoms. Le lieutenant Hart en possède un très populaire dans son unité : « Monk ». Est-ce pour la médaille de Saint Martin (saint patron des policiers) qui pend discrètement à son cou, glissée sous son t-shirt ? Parce qu’il lui arrive de s’arrêter dans une église, supposément pour y prier ? Car il s’implique auprès de la paroisse de son quartier ? Ou pour son mode de vie austère (pas de fêtes débridées, d’alcool, ni de nicotine, c’est louche) ?
En réalité, Monk ne croit pas au Dieu abrahamique (un monde aussi cruel ne saurait émerger d’un être omnipotent, même atteint de sénilité), encore moins aux dogmes d’une quelconque religion. Par contre, il porte constamment autour du cou le dernier cadeau de sa mère, objet qu’il chérit le plus. Les édifices religieux lui rappellent de bons souvenirs d’enfance, quand ses deux parents vivaient encore. Il trouve également du plaisir à jouer de l’orgue pour la chorale, le premier dimanche du mois, puis à participer aux activités ludiques et sportives en compagnie des enfants. Ces moments lui sont précieux, non pour acheter le ticket d’un hypothétique paradis, mais pour lui faire sentir que la vie ne se résume pas à combattre le crime. Les sourires des enfants, créatures encore innocentes dans un monde dérangé, régénèrent l’humanité de « Tonton Chris » et fortifie sa détermination à poursuivre la lutte. Sans leur concours salvateur, le policier aurait peut-être basculé dans cette folie qu’il côtoie au quotidien.
Seule entorse au matérialisme moderne, Monk aime croire que les défunts continuent de vivre dans un monde dénué de souffrances, où il retrouvera ses proches quand son heure sera venue.
Par ailleurs, Christopher est un amoureux, bien plus qu’un amateur, de « soft art ». S’il ne possède aucun talent artistique particulier (il joue régulièrement du piano sur un vieux synthétiseur, mais seules des oreilles profanes s’en émerveilleraient), il apprécie d’autant la beauté que son travail le confronte à l’ignominie et à la laideur. Il doit sans doute cet héritage esthétique à sa mère, dont la sensibilité et la culture avaient envoûté son père pourtant coriace.
Ainsi, quand il en a le temps et les moyens financiers, le policier se pare d’une tenue élégante (dont il ne possède qu’un seul exemplaire) pour assister aux concerts, opéras et diverses expositions ouvertes au public. Rejetant toute forme d’art brutale ou criarde, il affectionne la musique classique, la peinture de la renaissance, les sculptures antiques et les photos de paysage. Des goûts simples plus que raffinés : il recherche dans l’art une paix que son esprit réclame dans les périodes difficiles, ainsi qu’un rappel essentiel sur la magnificence de la créativité humaine.
♠️ Stubborn, le combattant clandestin ♠️ Là où « Monk » représente la facette la plus lumineuse de Christopher, « Stubborn » incarne assurément la plus sombre.
La genèse de ce
Mister Hyde remonte à l’arrestation d’un trafiquant d’armes. Le policier se heurte à un de ses sbires aux biceps hypertrophiés, doté d’une force herculéenne que même les drogues les plus puissantes ne peuvent apporter. Sans doute un de ces phénomènes que les travaux du Dr Brent ont changé en monstre de foire. Christopher se fait littéralement massacrer. Sans les renforts qui obligent le colosse à fuir, il aurait fini à la morgue au lieu de passer un mois à l’hôpital. Depuis ce jour, des douleurs persistantes l’obligent à prendre un antalgique pour trouver le sommeil (à partir de là, ce sont les tourments de l’esprit qui l’empêchent de dormir, mais il n’existe aucune pilule contre ce mal).
Comme le petit adolescent vingt ans en arrière, Christopher décide de riposter. L’époque où il se laissait aller au désespoir est révolue, chaque épreuve le rend plus fort. Sportif autrefois dans la moyenne, le policier suit une discipline stricte, prend du muscle et perfectionne sa maîtrise du combat à mains nues. Dans le même temps, il infiltre le milieu des combats clandestins qui offre des perspectives alléchantes aux monstruosités comme son agresseur.
Il participe masqué à ses premiers combats, endossant le pseudonyme « Stubborn » qui résume à merveille la seule qualité qui le distingue du lot : une obstination à toute épreuve. Sa force ne peut rivaliser avec les mastodontes gavés de stéroïdes, sa technique fait pâle figure face aux anciens militaires rompus à l’art de la guerre, mais Stubborn encaisse et rend les coups jusqu’aux limites du possible.
Le public apprécie, par conséquent les organisateurs aussi.
Stubborn progresse, mais reste un combattant de seconde catégorie. Sa relative popularité lui permet néanmoins d’affronter des adversaires plus redoutables, jusqu’au jour où il se retrouve nez à nez avec Jumbo, le malfrat qui l’a brisé de toutes parts. La raclée est monumentale, mais le perdant a remporté sa première victoire face au monstre : maîtriser sa peur et sa colère, gérer ce duel inégal pour repartir sans blessures graves. Il remportera la victoire définitive peu après, au moment de loger une balle de 9 mm dans le crâne de ce criminel notoire.
Cette revanche, ou plutôt cette exécution n’aura pas mis un terme à la carrière de Stubborn.
D’un point de vue pratique, ces soirées de divertissement délient les langues, et même les petits chefs se méfient rarement des gladiateurs. Après tout, ils font eux aussi parmi du milieu. Pour le policier, ce sont d’excellentes occasions de glaner des renseignements sur des activités illégales ou certaines figures du banditisme.
En outre, ces combats de l’extrême forment de manière très efficace à l’art du combat rapproché, du moins celui qui se pratique dans la rue. Christopher savoure ses défaites, car elles lui permettent de s’améliorer et de mieux accomplir son devoir, une fois à la surface.
L’argent des gains sert à financer les soins médicaux, le surplus est versé anonymement à des œuvres de charité pour ne pas attirer l’attention.
De façon moins avouable, Christopher trouve une forme de plaisir masochiste dans ces duels violents, comme si prendre des coups allégeait la culpabilité de ses pléthoriques erreurs.
Ces affrontements primitifs agissent également comme un exutoire pour toute la rage que le policier emmagasine à l’intérieur de lui. Un trop-plein d’injustice, de misère et de perdition qu’il lui faut évacuer d’une manière ou d’une autre. Paradoxalement, cogner et se faire cogner participent à son équilibre mental et l’apaisent, comme l’alcool ou la drogue chez certains.