Les données affluent sur les canaux. Les dirigeants rassemblés scrutent les écrans, depuis leurs larges sièges, semblables à quelques trônes hérités des temps jadis. Les nouvelles sont mauvaises, pour l’assemblée. Les images des drones peinent à parvenir de bonne qualité mais il est désormais impossible de s’y tromper. Le destroyer convoyant les « Caissons Spéciaux » a été perdu. Traces avérées d’attaques psychiques, implication de l’Ogre et de son acolyte Lyssa. Des dizaines de marins et de soldats ont été tués. Ainsi que ces vils mutants, sujets d’expérience avortées de par le monde qui se sont empressés de répondre à l’appel de la Boîte, déjà aux mains de l’ennemi. Les soldats n’ont pas fait de quartiers ; ils ont éliminé tous les témoins. Etabli un cordon de sécurité, abattu des drones civils de la télévision ou de privés rendus sur place. L’opération a laissé des traces. De nombreux corps et débris. Les restes de l’ESS Ney seront visibles depuis Europolis dès que le jour se lèvera. Pis que la perte des armes et des personnels militaires, c’est la fuite des informations qui effraie le conseil. Les réseaux sociaux s’emballent. Il s’est passé quelque chose. Des vidéos amateurs, prises par connecteurs et autres téléphones, montrent au loin des tirs à l’arme lourde, la destruction du phare, la mort de dizaines de gens dont le public ignore la nature corrompue. Tout va échapper à leur contrôle. Les patrons sont furieux. Les sbires courent en tous sens. Il faut appeler le Ministre de l’Intérieur, et le chef d’Etat-Major. Il faut reprendre le contrôle de la situation, avant que l’ennemi s’empare de toutes les armes.

L’assemblée partage un bien mauvais pressentiment… Un autre homme fait irruption dans la salle, haletant, cravate à peine nouée. Le chef se lève, alors que l’homme peine à reprendre son souffle et à articuler correctement.


| Et bien, quoi encore Brunet ? |


L’homme a l’air catastrophé, et ne peut cacher ni son embarras, ni la peur qu’il a d’être le messager de nouvelles pires encore.


| Messieurs les directeurs, nous venons d’apprendre qu’un ancien membre des Fantômes a été capturé par la police. L’opération « Terre Brûlée » a bien été lancée et sur la foi des renseignements interceptés auprès de la police, notre unité d’intervention a bien été envoyée sur place. Ils en ont réchappé par pure chance, bien que nous ayons pu liquider au moins un membre confirmé de leur équipe. Leur chef s’est rendu de lui-même à la police pour nous échapper. Ils comptent l’interrog… |


| Niveau d’accréditation ? | le Directeur a sèchement coupé son subalterne, il le regarde, inflexible.


| Ve-vermillon. Ex-officier, incorporé en 2033. |


La salle se fige, mais le Directeur lance son verre de cognac contre le mur. La goutte de trop.


| Appelez l’Etat-Major de l’Union ! Et rattrapez ceux qu’il reste, sitôt qu’ils seront identifiés ! | tonne-t-il, et aussitôt, tous ces cadres et consultants en beaux costumes s’égayent et se pressent pour limiter la casse.

L’insécurité s’était accrue ces dernières semaines à Europolis. Il semblait à tous que la Maire Elisabeth Vermeulen était dépassée par les événements, que le gouvernement préférait stabiliser les régions du monde dévastées par la guerre. Les flics ne savaient plus comment gérer les « Monstres » du Docteur Brendt et d’ailleurs, pas plus qu’ils ne savaient arrêter les anciens combattants de la Troisième Guerre Mondiale qui se reconvertissaient en masse, faute de travail, dans le grand banditisme.

La Loi et l’Ordre prenaient l’eau en même temps que les principes de l’Union.

Le 20 février 2050, plus d’un mois après un attentat meurtrier, un braquage de casino tenu par la pègre et l’assassinat d’un ponte de l’industrie technologique qui voulait révéler au monde ses « secrets », Europolis était endeuillée de deux nouveaux évènements dramatiques. Dans le port des Iles Zeeland, un destroyer de la marine avait été envoyé par le fond par une tempête extrêmement violente. On vit dans le ciel des hélicoptères braver la tempête, et tirer sur une foule amassée à quais. Les rumeurs circulèrent très rapidement. Le bateau transportait quelque chose et il se murmurait que l’armée avait tiré sur les badauds. Les rumeurs allèrent bon train. On parla vite d’arme secrète dérobée sur le navire de guerre, de centaines de soldats et de civils morts. Le périmètre, étroitement surveillé par l’armée dès le lendemain, ne laissa rien filtrer d’autre que des cadavres qui avaient été pris dans les flots. Le gouvernement expliqua la catastrophe par l’attaque du navire par des terroristes, éliminés par l’armée. Une sorte de faction pro-russe qui avait fichu la pagaille.

Personne n’était dupe. Mais seuls les témoins directs connaissaient la vérité. Lyssa avait utilisé le pouvoir contenu dans un coffre pour lier à elle la volonté de tous les « Monstres », personnes changées par les expériences interdites avant et pendant la guerre. Elle s’en était servie pour assaillir d’autres appelés par l’arme convoitée dans le navire ; l’essence des anciens dieux de ce monde. Atlantes et Valkyries avaient afflué, abandonnant leurs impostures pour se jeter dans la bataille. Un atlante parvint à récupérer au nez et à la barbe de l’Ogre l’objet tant convoité, mais il ne reparut pas à la surface après sa fuite. L’avait-il volé pour son propre compte, ce mystérieux objet ? La mêlée avait fait quantité de tués, et ce qui avait marqué les quelques héros et guerriers mythiques qui y avait participé, ce fut avant tout la force extrême de Lyssa, et l’endurance inhumaine de l’Ogre. Qui étaient-ils ? Que voulaient-ils vraiment, et comment faisaient-ils pour être si bien renseignés ? Personne ne le savait, et cela ne faisait que renforcer le malaise né du danger qu’ils représentent pour tout le monde, toutes origines confondues.

De l’autre côté du bras de mer, en plein quartier des affaires, les célèbres Mad Foxes avaient tenté un nouveau casse… Mais trahis par l’une des leurs, ils étaient tombés dans une embuscade de la police. Qui eux-mêmes s’étaient fait parasiter par une faction de l’armée… Les Foxes étaient tombés dans un piège et malgré l’intervention de la mafia qui les protégeait, l’équipe subit des pertes. Les survivants ne s’en tirèrent que par miracle, en se dispersant, en s’enfuyant à toute blinde ou en se jetant à la mer. Ne restait que leur chef, ramené pieds et poings liés au commissariat central de l’EPD. Chef qui, en tant qu’ancien chef d’une unité de psychopathes au service du gouvernement pendant la guerre, avait bien des secrets à dévoiler pour retrouver un peu d’espoir de liberté…

La ville s’enfonçait dans le Chaos et le gouvernement s’enfonçait sous le poids de ses propres mensonges.

La population d’Europolis a subi relativement peu de pertes lors de ces évènements récents, qui ont surtout engagé les forces les plus anciennes et les plus ténébreuses de ce monde. Les habitants de la métropole ne sont toutefois pas restés inactifs. Dans sa quête de justice, Eva Walsh a le moyen de trouver pas mal de soutien du côté de Christopher Hart, un inspecteur de police bien en vue des autorités au regard de ses états de service… mais dont les patrons ignorent que l’homme commence à découvrir l’existence réelle de ce qui n’était jusqu’alors que des mythes. Chloé de Vrède, journaliste prometteuse, a failli obtenir le scoop du siècle lors de l’intervention des Mad Foxes à Blue Island, mais n’a pu assister à l’arrestation du chef présumé de la bande. En revanche… Elle a pu observer le drôle de manège de civils auprès de policiers hauts gradés, et ne peut que suspecter la Pègre de gangrener l’EPD pour faciliter l’action de ses hommes de main sur le terrain. D’autres citoyens brillent plus dans la lumière, comme la star de cinéma Madison Beaulieu… Qui cache pourtant ses propres démons sous une tonne de cachets, démon qui ne réclament qu’un peu de liberté.

Les « Monstres » du Docteur Brendt et des autres expérimentations biologiques de par le monde ont eu le pire rôle qui soit dans les carnages qui ensanglantent la ville. Manipulés par Lyssa grâce à un artefact ancien, ils s’en sont parfois pris à leurs amis et leur famille, et ont été massacrés en masse par l’armée quand ils ont été envoyés par Lyssa sur les quais pour faire diversion pendant qu’elle et son complice essayaient de piller un navire militaire. Fallon Ward a perdu les pédales, et a rejoint les criminels, tandis que d’autres, Mei Long, Sasha Pachkov et Henry Watford, peinèrent à résister à l’appel de la Boîte. Tous durent lutter pour leur vie contre l’Ogre, contre les « héros » qui s’en prenaient à eux, ou contre eux-mêmes. Angela Ioannis, une autre survivante d’expériences interdites, su un temps calmer ses congénères en usant de son pouvoir… Mais ce qui la plaça dans l’objectif d’un pouvoir venu du fonds des âges, qui se mit aussitôt à la désirer toute entière pour l’accomplissement de ses desseins.

Réunis par une sorte d’appel psychique, qui réveilla leur conscience malmenée et endormie, les Sœurs de bataille et les Fils du Trident se déplacèrent en masse pour faire barrage à l’Ogre et Lyssa. Plusieurs d’entre eux moururent sous les coups, ou du fait de l’intervention de l’armée qui les prit pour de simples civils. Amarice Krigen, Franziska Muller, Lily Bradbury et Lexi Rayne foncèrent droit vers la bataille. Manquant Lyssa et le pouvoir que la criminelle contrôlait, Lily fut sévèrement blessée et ne put s’enfuir que grâce au concours d’Amarice, tandis que Lexi et Franziska prêtaient main-forte aux héros improvisés qui s’en prenaient à l’Ogre. Toutes héroïques, elles prouvèrent que la rage et l’abnégation caractéristiques des Valkyries ou des Amazones ne s’étaient pas éteintes avec leurs dieux… Divinités qu’elles « sentirent » de nouveau ce soir-là. Comment et pourquoi ? Elles ne le savaient pas. Mais la sensation, malgré la victoire relative face à l’Ogre et Lyssa, leur redonnèrent un peu de foi.

L’essentiel des combattants atlantes mourut au combat ce 20 février 2050, beaucoup étant incapables de surmonter leur haine des hommes qui les avaient abandonnés et qui avaient purgé l’Atlantide par le feu nucléaire. Il restait toutefois des survivants suite au carnage, et Sorcha Howl n’abandonnerait pas de sitôt sa quête de vengeance, tandis qu’il restait encore quelques idéaux à Lara Jensen. Peut être un jour, l’espoir de ressentir à nouveau l’appel des dieux de la mer, comme ce soir-là quand les pouvoirs de l’océan s’étaient déchaînés contre le navire attaqué par l’Ogre ? D’autres ne nourrissaient pas les mêmes aspirations. Maintenant intégrée au monde des hommes, Cassiopeia Fontaine avait travaillé à la chute des Foxes. Sans pour autant se révéler à eux. Sous couverture, elle avait manipulé leur chef, et avait été à son habitude, partie prenante autant de l’échec que de la survie des criminels… Comme si elle retrouvait chez eux un peu de cette haine contre le monde qui l’habitait depuis toujours. Capturée pendant le braquage, elle se fit passer pour une Mad Fox pour ne pas détruire sa couverture.

Les anciens soldats de l’Union étaient fortement impliqués dans les troubles agitant la ville. Damian Aberline, à la tête d’un réseau de contrebande d’objets d’art et d’antiquités, a tenté de profiter du chaos du port pour tenter de piller le destroyer en train de couler, sans succès. Les Mad Foxes quant à eux, se firent surprendre en plein braquage. Riley Wilson, une de leurs membres, les avait balancés aux flics, pensant que leur chef Jean Raulne les trahissait. Thomas McHall fut assassiné, John Anders réchappa à une tentative de meurtre et les autres Foxes, Katerine Oppenheimer ou Lukas Eulewald, ne purent réchapper au guet-apens que par miracle… Car il semblait que les policiers eux-mêmes avaient été doublés et que l’armée essayait de profiter de l’opération pour les liquider ! Comprenant l’étendue de la machination, Raulne se rendit à la police dans l’espoir que sa capture atténue la virulence de la traque de ses coéquipiers. Paradoxalement, celle qui détenait le destin du plus honni des « Fantômes » survivants n’était autre que Kethryn Miller, née Amazone, qui avait entre ses mains l’avenir d’un représentant des bourreaux supposés de son peuple.

Restaient les héros de l’ombre, qui ne se dévoilaient toujours pas au grand jour. Certains d’entre eux, comme Black Cat (Mélusine Kapoem) ou Venom (Kate Ward) avaient tenté d’intervenir contre l’Ogre et Lyssa, mais la première disparut en même temps que le phare, pulvérisé par une roquette de la marine, tandis que la seconde se faisait emporter par les flots, battue par sa mère adoptive devenue amnésique, Fallon Ward. D’autres comme Jay Irons essayaient d’endiguer la criminalité mais avec la plus dure des peines, et d’autres succombaient au chaos ambiant, comme Lauren Anders, ancienne flic devenue trafiquante et proche des Foxes qu’elle aida à s’échapper en blessant de nombreux policiers, ménageant une porte de sortie pour les ex-Fantômes à coups de grenades en pleine rue ! L’espoir demeurait toujours, avec des individus comme Sarunas Semionis qui portaient en eux les germes, peut-être, d’une future association des bonnes volontés souhaitant sauver la ville de la criminalité.

Derrière la journaliste en plein direct, la cohue. Des policiers et des militaires semblent se bousculer. On voit un homme en costume qui donne de la voix pour ramener le calme, et une belle femme brune qui semble aussi tonner des ordres à l’encontre des hommes en bleu pour les faire reculer, l’altercation étant devenue proche de l’empoignade généralisée.

| Comme vous le voyez Philippe, les choses sont très tendues au Commissariat Central. Des militaires sont arrivés peu après la capture des deux Mad Foxes un peu plus tôt dans la soirée après le coup de filet réalisé par la police Les choses sont très confuses, on parle de dizaines de blessés et de plusieurs morts alors qu’on nous a rapporté des explosions ailleurs en ville. Les soldats sont venus réclamer qu’on leur livre les prisonniers, mais la police de la ville semble avoir refusé de les livrer. Les deux groupes en sont quasiment venus aux mains et le député Storeberg, venu aussitôt la nouvelle de la capture annoncée, tente de ramener le calme. Il semblerait que les prévenus veuillent coopérer avec la police mais l’armée a fait pression ici pour récupérer les prisonniers, sans donner de raisons apparentes. La tension est très forte et les deux groupes en sont presque venus aux mains quand le ton est monté. Il semblerait que la police ait obtenu gain de cause mais le procureur discute encore les détails avec les officiers de l’Etat-Major. On peut s’inquiéter de l’ingérence de l’armée dans une affaire purement civile et ici, les spéculations vont bon train. Pourquoi l’armée veut-elle ces prisonniers, surtout apparemment le chef présumé de la bande, et pourquoi la police leur tient-elle tête ainsi ? Le Protecteur des Droits a été appelé… |